pAPILLONS DE NUIT
ET POLLUTION LUMINEUSE

Pollution lumineuse : Une perturbation pour les papillons de nuit

Les papillons de nuit, qui rassemblent près de 5000 espèces en France (Gadoum & Roux-Fouillet, 2016), soit cinq fois plus que d’espèces d’abeilles, subissent depuis plusieurs décennies des pressions anthropiques telles que la pollution lumineuse. Ils sont pourtant essentiels dans le fonctionnement des écosystèmes. Par exemple, nombre d’entre eux sont des pollinisateurs de plantes sauvages, comme les abeilles, dont ils semblent être complémentaires (voir notre article à ce sujet).

© Dave Pressland / FLPA - Frank Lane Picture Agency / Biosphoto
06 mai 2022

La pollution lumineuse, pourquoi est-ce un problème ?

Parmi les pressions anthropiques les plus impactantes pour nos chers papillons de nuit, la pollution lumineuse, liée notamment à l’urbanisation tient une place centrale (Wagner et al. 2021). Cette dernière est présente dans le monde entier et connaît une croissance fulgurante. En effet, au niveau régional on constate une augmentation de 0 à 20% par an ! La pollution lumineuse provient de multiples sources, dont notamment l’éclairage public, l’éclairage publicitaire ou encore l’éclairage des véhicules (Arnaud & Immacolata, 2005).

Les papillons de nuit, par nuit claire, utilisent les sources de lumière céleste comme la lune ou les étoiles pour s’orienter. Dans le champ de vision de ces insectes, la lumière artificielle va constituer un nouveau repère, ils vont la confondre avec les astres ; il s’agit de la désorientation spatiale.

La phototaxie positive, qui représente le déplacement des individus vers une source de lumière, est la raison de l’attraction que les insectes nocturnes nourrissent pour la lumière artificielle. Ce piège a pour effet d’entraîner une incapacité à adopter des comportements vitaux ou à accomplir leur cycle biologique (fuir un prédateur, se nourrir ou se reproduire). Le vol en spirale, que provoque les puits lumineux, va entraîner un épuisement et un étourdissement, ce qui va considérablement augmenter les risques de prédation. Au-delà du piège que peut former la lumière artificielle, elle crée également d’autres perturbations comme la désorientation temporelle, une modification de l’heure d'activité de l’espèce et les mécanismes qui en découlent (ex : alimentation, parade nuptiale) sont bouleversés (Owens & Lewis, 2018).

C’est par un cycle biologique perturbé et une mobilité réduite que résulte une forme de fragmentation de leur habitat ; celle-ci peut mener à moyen et long terme à l’isolement de certaines populations et donc limiter la dispersion et les échanges entre les populations d’espèces. 

De plus, la pollution lumineuse est à l’origine de changements physiologiques, donc non visibles à l’œil nu. Par exemple, une exposition constante à la lumière entraînerait la stérilisation des mâles, supprimerait les phéromones sexuelles des femelles et provoquerait des interférences dans la ponte (Owens et al., 2020). Cependant, on connaît encore mal les effets sur les traits morphologiques liés à la capacité de vol des papillons de nuit !

Quels changements pour les papillons de nuit ?


Dans l’étude portée par l’équipe de chercheurs allemands (Keinath et al., 2021), ces derniers se sont penchés sur d'éventuels changements morphologiques que pourrait provoquer la pollution lumineuse. Ils ont plus spécifiquement travaillé sur le Point d’exclamation (Agrotis exclamationis L.), espèce de papillon très commune dans la région d’étude (Berlin-Brandebourg). 
À cause de la pollution lumineuse, ce papillon est victime de la prédation ou de la mort par épuisement, favorisant donc potentiellement au-fur-et-à-mesure des années des individus possédant des traits morphologiques qui réduisent le comportement de vol vers la lumière : des ailes antérieures, un corps et des yeux plus petits.

Figure 1 :  Influence hypothétique de l’augmentation de la pollution lumineuse sur les traits morphologiques des papillons de nuit. Modifié d’après la Figure 1 de « Impact of Light Pollution on Moth Morphology–A 137-Year Study in Germany | Elsevier Enhanced Reader ».


Une réduction de la taille des yeux !


Les chercheurs ont pu constater un seul changement au cours du temps qui pourrait être expliqué par la pollution lumineuse : une réduction de taille des yeux chez les femelles.

Comment expliquer ce résultat ? 

Dans les zones où les niveaux de la lumière artificielle sont élevés, la vue des femelles sur leurs plantes hôtes pourrait être affectée, ce qui favoriserait la sélection de femelles avec des yeux plus petits qui sont moins perturbés par la lumière artificielle. 
En effet, le Point d’exclamation comme de nombreux insectes nocturnes, possèderait une vision des couleurs très réduite mais une sensibilité accrue (Owens & Lewis, 2018). Chez cette espèce, les femelles se servent de la vision pour détecter leur plante hôte. Ainsi, la pollution lumineuse pourrait donc favoriser la sélection d’individus aux yeux plus petits car moins impactés par cette dernière dans le cadre de la détection de leur plante hôte ! Bien que ces résultats soient globalement incertains, cette étude souligne que l’impact de la pollution lumineuse sur les papillons de nuit et ses conséquences sur le fonctionnement des écosystèmes demeurent encore largement à évaluer !

Dans tous les cas, limiter les sources de lumière artificielle la nuit est une priorité afin de permettre aux espèces nocturnes tels que les papillons de nuit de conserver leurs comportements naturels et de réguler leur cycle de vie. C’est sur l’un de ces points que Noé sensibilise les collectivités et les entreprises, notamment à travers son programme Lépinoc mais aussi grâce à sa charte de l’éclairage durable et ses fiches actions pour réduire la pollution lumineuse !

Références :

  • Gadoum S. & Roux-Fouillet J.-M. (2016). Plan national d’actions « France Terre de pollinisateurs » pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages. Office Pour les Insectes et leur Environnement – Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie : 136 p.
  • Wagner, D. L., Fox, R., Salcido, D. M., & Dyer, L. A. (2021). A window to the world of global insect declines: Moth biodiversity trends are complex and heterogeneous. Proceedings of the National Academy of Sciences, 118(2).
  • Arnaud Z. & Immacolata F. (2005) Barrières à la colonisation de la plaine du Rhône.
  • Owens, A. C., & Lewis, S. M. (2018). The impact of artificial light at night on nocturnal insects: a review and synthesis. Ecology and evolution, 8(22), 11337-11358.
  • Keinath S., Holker F., Muller J. & Rodel. (2021) Impact of light pollution on moth morphology - A 137-year study in Germany. GfÖ, Basic and Applied Ecology 56 1-10
 

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