LES RELATIONs BIOTIQUES DES PAPILLONS : le parasitisme

Les papillons parasites : tout est permis !

Après un premier épisode sur les parasitoïdes, nous nous retrouvons pour un deuxième article de notre série sur les relations biotiques des papillons. Cette fois-ci nous allons nous intéresser au parasitisme entre fourmis et papillons. Avec l’épisode précédent, nous nous sommes penchés sur plusieurs exemples de parasitoïdes tueurs de chenilles. Nous allons donc maintenant voir comment les papillons peuvent être à leur tour de féroces parasites …
Fourmis de Crematogaster sp. assurant la protection d'une chenille de Lycène, P. Naskrecki
26 novembre 2021

Chenilles et fourmis : amis ou ennemis ?

 
Alors que pour une grande majorité de larves, les fourmis sont de redoutables prédateurs, pour d’autres ce sont de véritables alliées : c’est ce qu’on appelle la myrmécophilie. Cela se définit par l’aptitude d’une espèce à vivre en association avec les fourmis. Cette relation est apparue petit à petit au cours de l’évolution de chacune des espèces. L'association dont nous allons parler se déroule à l'intérieur même de la fourmilière. Il existe également ce même type de phénomène mais cette fois-ci, à l’extérieur de la fourmilière. Cela concerne les espèces de papillon du genre Plebejus et s’apparente davantage à du mutualisme : une relation qui profite aux deux espèces, puisque les fourmis protègent les chenilles contre les prédateurs et que les chenilles produisent un miellat nutritif pour les fourmis.


La myrmécophilie chez les chenilles 


Ainsi, la myrmécophilie apporte un certain avantage pour les chenilles car plus une ponte est réalisée à proximité d’une fourmilière, plus elle garantit aux chenilles un moyen de se développer et obtenir de véritables gardes du corps jusqu’à leur transformation. Nous pouvons savoir si une espèce est myrmécophile ou non rien qu’en regardant la physionomie des chenilles. Les espèces myrmécophiles présentent en effet trois organes indispensables à la réalisation d’une telle association :
  • Les glandes verruqueuses : présentes sur toutes les chenilles et les chrysalides de Lycènes, elles sécrètent une substance inhibant l’agressivité des fourmis.
  • La glande nectarifère produit une sécrétion sucrée s’apparentant à du miellat et qui contient plusieurs sortes d’acides aminées, de glucose et de fructose dont les fourmis raffolent.
  • Une paire de tentacules érectiles qui libèrent une substance imitant la phéromone d’alerte des fourmis
Par exemple, les chenilles de Thècle de la ronce (Callophrys rubi) sont myrmécophiles et possèdent ces 3 organes. A l’inverse, l’Azuré des soldanelles (Agriades glandon), l’Azuré de l’androsace (Agriades pyrenaica) ou l’Azuré de la canneberge (Plebejus optilete), qui sont pourtant des Lycènes, ne sont pas myrmécophiles et sont dépourvus des glandes nectarifères et de la paire de tentacules, les deux organes les plus importants dans la relation avec les fourmis.


Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis !


     D’autres chenilles myrmécophiles, de la famille des Lycénidés font également appel à des stratagèmes assez stupéfiants pour être acceptées dans la fourmilière. L’Azuré du serpolet (Phengaris arion) et l’Azuré des mouillères (Phengaris alcon)sont deux espèces diurnes de la famille des Lycènes et ont la particularité d’effectuer une partie de leur cycle de vie dans une fourmilière. 
Cycle de vie de l'Azuré du serpolet (Phengaris arion) : A. Accouplement ; B. Ponte : C. Chenille sur inflorescence ; D. Chenille récupérée par la fourmi hôte et transport à la fourmilière ; E. Chenille dans la fourmilière ; F. Chrysalide ; G. Envol de l'imago 

Après la fécondation, les femelles fécondées déposent leurs œufs sur une inflorescence de leur plante hôte, le thym et l’origan pour l’Azuré du serpolet et les gentianes pour l’Azuré des mouillères. En août, les chenilles se nourrissent de la fleur puis se laisse tomber au sol et se cachent dans les petites cavités du sol en attendant d’être trouvées et adoptées par des fourmis du genre Myrmica et notamment Myrmica scabrinodis et Myrmica ruginodis. Cela est possible car les chenilles de papillons produisent une sorte d'hydrocarbure proche de celui des larves de fourmis. Elles passent pour des larves de Myrmica et sont donc ainsi ramenées par ces dernières dans leur nid. Une fois dans la fourmilière, elles se déguisent en acquérant des composés chimiques via leurs contacts avec leurs hôtes. Ainsi, les fourmis adultes goûtent aux poils des chenilles, les reconnaissent comme leurs propres larves et les traitent comme telles. On appelle cela le mimétisme chimique : les chenilles imitent donc l’odeur des larves de fourmis pour se faire adopter. Elles poursuivent ainsi leur développement larvaire dans la fourmilière, nourries, logées et blanchies par leurs hôtes. Au menu, bouillie que les fourmis ont-elles-même prémâchée et qu’elles régurgitent directement dans la bouche de la chenille. D’autant plus que les fourmis nourrissent bien plus ces larves de papillons que leurs propres larves notamment car elles paraissent plus robustes. Elles consacrent donc plus d’énergie et de temps à les nourrir et les bichonner, au détriment de leurs larves. Pour certaines colonies de Myrmica rubra, parfois cela peut même aller jusqu’à la mort par épuisement. Dans de rares cas, les chenilles peuvent donc devenir des parasitoïdes. Tout comme les fourmis, les chenilles entrent en diapause et pour passer l’hiver à l’abri et au printemps, les deux espèces reprennent leurs activités. Puis un beau matin, les larves arrêtent de diffuser des phéromones et se métamorphosent en papillons adultes. Ceux-ci sortent alors de la fourmilière le matin, moment de la journée où les fourmis sont encore inactives, sans un remerciement ! 


La coévolution : une solution pour les fourmis 


Une récente analyse des phéromones émises par les fourmis et les chenilles a permis de mettre en évidence un spectre quasi-identique entre des jeunes chenilles et leur fourmi-hôte. Ainsi, plus la chenille devient âgée plus son spectre de phéromones est semblable à celle des fourmis et plus elle pourra exploiter les ressources de la fourmilière. Mais les fourmis sont malines : leur spectre varie afin de défier les mécanismes de la chenille et ainsi éviter un autre épisode de parasitisme. A leur tour, les chenilles vont s'adapter aux nouvelles méthodes de défense des fourmis en tentant de reproduire ce nouveau spectre : c'est ce qu'on appelle la coévolutionC’est une véritable course aux armements pour les fourmis qui doivent ruser pour ne pas se faire parasiter. Une chenille aura donc plus de chance d’être accueillie dans une colonie de fourmis qui n’a jamais été parasité et qui présente donc un spectre de phéromones davantage à sa portée. Avec l’évolution des techniques de défense des fourmis, les chenilles se sont adaptées et parviennent parfois à exploiter d’autres espèces de fourmis afin de garantir leur survie en cas de contre-adaptation de la part de son hôte principal. 


Un invité empoisonné 


 On observe parfois une compétition entre espèces de fourmis pour ramener une chenille dans leur colonie. Sur une parcelle, une grande diversité de fourmis peut coexister, y compris des espèces myrmécophiles qui sont à la recherche de chenilles. Quand 2 ou 3 espèces sont attirées par la même chenille, celles-ci entrent en compétition. Seul le niveau d’agressivité et de dominance permet de savoir quelle espèce l’emportera. Il n’est ainsi pas rare de voir deux espèces de fourmis se battre férocement pour savoir laquelle aura le privilège de ramener ce cadeau empoisonné. Selon la taille de la chenille et l’espèce de fourmis, le nombre de fourmi nécessaire pour ramener la chenille à la fourmilière sera différent. Ainsi, transporter une chenille d’Azuré des orpins (Scolitantides orion) ne nécessitera seulement que 2 ou 3 fourmis de Camponotus, un genre plus résistant et robuste que le genre Lasius qui devra prévoir une dizaine d’individus.

De plus, dans de rares cas, ce parasitisme peut se transformer en prédation de la part des fourmis. En effet, quelques espèces comme Messor capitatus, confondent les chenilles entre elles. C’est le cas par exemple avec l’Azuré de Lang (Leptotes pirithous) qui, au début de sa croissance, est ramené dans la fourmilière, non pas en tant qu’invité mais en tant que nourriture. Les chenilles ont beau se débattre, les fourmis les ramènent de force en coinçant leur proie entre leurs mandibules. Parfois, elle est finalement élevée au milieu des larves mais elle finit la plupart du temps dévorée par le reste de la colonie. Ce phénomène s’étant déroulé dans des colonies qui avaient déjà été parasitées dans le passé, les scientifiques ont émis l’hypothèse que les fourmis, ayant compris le stratagème des chenilles, ne se laisseraient pas faire et décideraient de les manger plutôt que de les accueillir.
 
Car en effet, on observe rarement une seule chenille dans une colonie de fourmis. Les observations ont démontré qu’une fourmilière de 350 ouvrières peut héberger jusqu’à 5 chenilles en même temps. D’ailleurs, une étape est parfois franchie par certaines espèces de chenilles assez agressives qui parasitent les autres chenilles présentes dans la fourmilière. La larve d’Azuré de Lang (Leptotes pirithous) n’hésite pas, à peine sorti de son cocon, à attaquer une autre chenille en pré-nymphose pour lui retirer son hémolymphe1. Cela va même parfois jusqu’à attaquer une autre chenille de sa propre espèce. Les larves d’Azuré du serpolet par exemple, s’attaquent systématiquement au sein des fourmilières à d’autres chenilles d’Azuré du serpolet plus petites afin d’obtenir toute l’attention de leurs hôtes.

 Une fourmilière de 350 ouvrières peut héberger jusqu'à 5 chenilles en même temps ! 

Enfin, certaines espèces de chenilles sont nocturnes et se nourrissent au crépuscule. C’est le cas du Bleu-nacré d’Espagne (Lysandra hispana) qui attire des fourmis elles-aussi nocturnes comme Aphaenogaster subterranea, une petite espèce assez agressive qui privilégie les endroits humides et ombragés. La chenille a donc trouvé un parfait hôte qui a un mode de vie comparable au sien !  


Chenilles et fourmis, unies pour la vie !


Une petite anecdote à ce sujet montre la forte interdépendance qu’entretiennent l’Azuré du serpolet (Phengaris arion) et son hôte. En effet, en 1979 l’espèce est déclarée disparue en Grande-Bretagne. Malheur ! Une équipe de l’université d’Oxford s’intéressa à cette disparition soudaine et y trouva rapidement une explication : un changement dans la gestion des prairies sèches. Et effectivement, délaissées par les éleveurs et par les lapins, notamment à cause de la myxomatose2, les prairies ont perdu ce qui faisaient vivre les Azurés : des fourmis !

Azuré du serpolet (Phengaris arion)

Les espèces du genre Myrmica, appréciant particulièrement les zones broutées, conservant la chaleur, n’ont pas apprécié la terre trop humide et donc trop froide que présentaient ces prairies. Les chercheurs ont donc compris qu’il fallait pour le bel Azuré, bien sûr sa plante hôte, mais également des fourmilières afin que la chenille puisse se développer et atteindre le stade adulte. Sans cela, son cycle de vie ne peut arriver à terme. Après cette frayeur, plusieurs campagnes ont donc été menées pour ramener du bétail sur ces terres et plusieurs réintroductions ont été réalisées depuis la Suède afin de faire revenir l’Azuré du serpolet dans les campagnes britanniques.
Pour les fourmis, le parasitisme des chenilles d’azurés induit un coût sur leur reproduction. En effet, la prise en charge des larves de papillon est parfois trop importante par rapport à la capacité de la fourmilière. La taille de la colonie subit alors d’énormes pertes car les chenilles ont besoin d’énormément d’énergie et de temps, tout cela au détriment des jeunes fourmis. Ainsi, une colonie continuellement parasitée, peut être amenée à disparaitre et peut également conditionner la pérennité des populations d’azurés.  

La myrmécophilie est un phénomène assez courant chez les insectes. Ce type de relation est de plus en plus étudié dans le cadre de la coévolution. 

Les papillons sont donc très malins, mais ce ne sont pas les seuls ! La myrmécophilie est un phénomène assez courant chez les insectes et notamment chez certaines espèces de mouches. Ce type de relation est de plus en plus étudié dans le cadre de la coévolution : deux espèces négativement et positivement influencées développent chacune des techniques pour contrer les attaques ou les outils de défense de l’autre. En attendant, l’exemple en Grande-Bretagne nous le montre, il est important de prendre en compte pas uniquement la survie des espèces mais également tout l’écosystème et notamment les relations entre espèces. Les études et projets menés pour comprendre la nature des relations entre les espèces animales et végétales sont primordiaux pour savoir ce qui peut être mis en place pour les protéger et les conserver. 


1 Liquide équivalent au sang chez certains invertébrés à la différence qu'il n'y a pas de canaux et qu'il circule dans tout le corps. Il sert notamment à apporter les nutriments, à évacuer les déchets métaboliques ou encore à éliminer les pathogènes de l'organisme. 

2 Maladie qui a particulièrement touché les lapins sauvages et domestiques. Elle se transmet par des mouches et moustiques hématophages, justement favorisés par le déclin des organismes nécrophages et des grands prédateurs à cause des activités anthropiques (chasse, urbanisation, ...).



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