associer les mondes agricole et naturaliste est essentiel pour diffuser les pratiques qui préservent la biodiversité

Lancement d'un annuaire de naturalistes : Rencontre avec Pauline Lavoisy et Raphaël Rouzes.

En ce début d'année 2022 et dans le cadre de sa mission sur la biodiversité agricole, Noé lance son annuaire de naturalistes. Une idée qui a vu le jour à la suite de la publication l'an passé de nos "14 indicateurs de biodiversité agricole pour les filières agro-alimentaires" imaginés pour aider les filières agro-alimentaires à évaluer l’impact de leurs initiatives sur la biodiversité. 

Des indicateurs qui requièrent des compétences naturalistes, trop rarement mobilisées. 
Noé a alors souhaité apporter une réponse concrète par la création de cet annuaire à l'occasion duquel nous avons rencontré, Pauline Lavoisy, Responsable biodiversité agricole chez Noé, et Raphaël Rouzes, entomologiste référencé au sein de l'annuaire de naturalistes.
Pauline Lavoisy et Raphaël Rouzes
13 janvier 2022
L'un des objectifs de l'annuaire est de mettre en lien les mondes agricoles et naturalistes. Pourquoi avoir eu cette ambition ?
 
Pauline : Chacun de ces mondes semble avoir développé, chacun de son côté, des connaissances et compétences très utiles pour la transition agroécologique. Les naturalistes connaissent les espèces sauvages, les pressions qu’elles subissent, ou bien au contraire, ce qui peut les favoriser. Les agriculteurs maîtrisent les techniques de production et innovent sans cesse pour adopter de nouvelles techniques. 
Associer les deux expertises nous a paru essentiel pour identifier et diffuser les pratiques agricoles qui permettent de préserver la biodiversité tout en conservant une activité agricole viable. 

Les agriculteurs ont surtout besoin des compétences de naturalistes pour mettre en pratique des « indicateurs d’état » de la biodiversité. Comment ont été sélectionnés ces indicateurs ?
 
Pauline : Ce sont des données à collecter au champ en observant la biodiversité. À l’œil nu, pour les vers de terre, les oiseaux, les pollinisateurs, la flore ou encore les auxiliaires et ravageurs. Ou par l’intermédiaire d’analyses en laboratoire pour ce qui concerne la vie microscopique des sols. 
Nous les avons sélectionnés afin de représenter un panel assez large de la biodiversité et pour représenter la plupart des taxons qui peuvent jouer un rôle intéressant pour les producteurs (fertilité des sols, régulation des ravageurs ou encore pollinisation). Un autre critère important était de pouvoir accéder à des référentiels afin que l’utilisateur puisse se positionner une fois les résultats obtenus. Et bien entendu, il fallait que le coût et les compétences requises restent les plus raisonnables possibles ! 

Raphaël, tu es entomologiste et tu es référencé au sein de l'annuaire lancé par Noé. As-tu toujours été entomologiste ? Qu’est-ce qui t'a conduit vers ce métier ?

Raphaël : J’ai été très tôt sensibilisé à l’entomologie et aussi à l’agriculture. Mon père est naturaliste et pratiquait l’entomologie en amateur. Du côté de ma mère, toute la famille est agricultrice en polyculture autour de la région toulousaine. C’est donc naturellement, d’abord par "proximité", puis par passion, et enfin à travers mes études que j’ai lié ces deux thématiques pour en faire un métier qui au final, fait un peu partie de mon ADN. 

Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton métier et quels services proposes-tu au monde agricole ? Êtes-vous nombreux à réaliser ce travail ?
 
Raphaël : Je me considère comme un artisan en entomologie agricole en réalisant tout type de prestation « sur-mesure » sur la thématique des insectes auxiliaires, ravageurs et invasifs en milieux agricoles. 

Mes principales activités sont des formations autour de thématiques générales comme l’entomologie ou alors plus spécifiques sur une culture particulière ou même un insecte bien précis (cela comprend aussi des animations pédagogiques). Je réalise également diverses études et expérimentations en terrain et en laboratoire portant sur les impacts insecticides sur la faune auxiliaire ou sur l’inventaire de la biodiversité fonctionnelle d’un agrosystème. Je propose aussi des suivis classiques de dynamique de ravageurs afin de permettre aux producteurs d’intervenir au mieux dans les cycles. Enfin, une dernière compétence est la réalisation de diagnostics et d’expertises spécifiques. 

Je ne pense pas que nous soyons très nombreux à réaliser ces prestations en tant qu'entomologiste indépendant (peut-être 4 ou 5 personnes au niveau national tout au plus). Il existe toutefois des structures publiques et certains bureaux d’études qui présentent des similarités avec nos activités.

Pauline, vois-tu des acteurs essentiels à intégrer à ce type de projets pour toucher un maximum d’agriculteurs ?

Pauline : Dans le travail que nous menons avec nos partenaires de l’agro-alimentaire, l’implication des coopératives et négoces est essentiel. Dans ces filières, ce sont eux qui sont le plus souvent au contact des agriculteurs notamment parce qu’ils leur apportent un conseil agronomique. Notre idée est bien que les compétences naturalistes imprègnent petit à petit ce conseil ! D’un point de vue pratique, ce sont des intermédiaires efficaces pour collecter les données auprès des producteurs et ensuite les agréger à l’échelle de collectifs plus larges parfois répartis sur tout le territoire national.

Ces indicateurs sont déployés auprès de combien d’agriculteurs aujourd’hui ?

Pauline : Nous avons lancé l’an dernier 3 projets pilotes au sein desquels est appliquée une partie des indicateurs d’état en fonction des moyens à disposition. 
Au total, 66 parcelles chez 45 agriculteurs, mobilisés par 12 coopératives et négoces, ont fait l’objet de suivis naturalistes l’an dernier, soit directement par les agriculteurs, soit par les techniciens des coopératives, soit grâce au recrutement de stagiaires naturalistes, soit en faisant appel à des prestations externes. 
Elles devraient être un peu plus nombreuses en 2022 et nous espérons conserver cette dynamique de développement pour que ces initiatives profitent à un maximum de producteurs et soient les plus représentatives possibles de la diversité des situations.

Raphaël, selon toi comment évolue la vision qu’ont les agriculteurs des insectes et autres petites bêtes ?
 
Raphaël : De manière générale, les arthropodes, insectes et autres petites bêtes aux pattes articulées, sont largement méconnus dans le monde agricole. Seuls les principaux ravageurs des cultures parlent aux producteurs car ils font des dégâts avec souvent des lacunes dans la connaissance de leur biologie. 

La génération de mon grand-père (née en 1930) avait, me semble-t-il, de meilleures connaissances en la matière. L’avènement de la mécanisation et la chimie de synthèse d’après-guerre ont éloigné les paysans de ce petit monde. Depuis une grosse décennie, avec une volonté de reconnexion avec le vivant, il y a un intérêt croissant dans la connaissance de la biodiversité en général et notamment l’entomofaune agricole dont celle qui régule les fameux ravageurs : les auxiliaires.

Quel est le profil des producteurs avec qui tu travailles ?

Raphaël : Je travaille avec de nombreux acteurs de l’agriculture. En général, ce sont déjà des personnes sensibilisées qui veulent se former à la reconnaissance des insectes qui les environnent, diminuer leurs impacts en traitant mieux, ou bien repartir de zéro concernant l’entomofaune fonctionnelle de leur exploitation afin de développer des aménagements pour améliorer les processus naturels de régulation ou de pollinisation.

Dirais-tu que la demande va croissante pour les prestations entomologistes ?
 
Raphaël : Ce n’est pas moi qui le dis, la demande est sociétale du producteur au consommateur. Il y a une volonté de réinventer l’agriculture en se réappropriant l’ensemble des processus naturels dont les insectes font grandement partie. Une meilleure connaissance de leur diversité et de leur action est une aubaine pour l’agriculture de demain.  

Pauline, quelles sont les perspectives de Noé après cette mise en ligne de l’annuaire de naturalistes ?

Pauline : Nous aimerions organiser quelques temps d’échanges pour partager des expériences. Il est essentiel que le monde agricole puisse être convaincu de ce que peut lui apporter ce type de collaborations. 
Une question importante est aussi le financement de ces initiatives et nous espérons que nous pourrons identifier quelques pistes et conseils sur ce point. Nous souhaitons aussi mettre en valeur les exemples de collaborations qui ont permis d’enclencher des changements de pratiques concrets.

Pour conclure, pourrais-tu nous rappeler ce que Noé fait plus largement pour la biodiversité des milieux agricoles ?
 
Pauline : L’annuaire de naturalistes n’est qu’un outil parmi d’autres pour donner un maximum de billes aux porteurs de projets en faveur de la biodiversité, pour s’évaluer, identifier des pistes de progrès, valoriser ses efforts. Nous proposons aussi des accompagnements aux filières agro-alimentaires et animons une communauté d’acteurs rassemblée autour du Club AGATA afin de co-construire ces outils et faire naître des projets. Enfin, parce que nous cherchons à engager toutes les parties prenantes, nous devrions communiquer cette année sur le lancement d’un tout nouveau chantier visant à sensibiliser les citoyens-consommateurs aux liens entre leur alimentation et la biodiversité.

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