les papillons de nuit, acteurs clés de la pollinisation

  ©  Dominique Halleux / Biosphoto 

La pollinisation par les papillons : une différence entre les espèces diurnes et nocturnes

  Bien qu’on entende le plus souvent parler des abeilles, les papillons sont également des pollinisateurs importants et jouent un rôle crucial dans la reproduction des plantes.  

Sphynx de la tomate (Manduca quinquemaculata)

© Mark Moffet / Minden Pictures / Biosphoto 

16 mai 2023

Le déclin des pollinisateurs sauvages : au cœur des préoccupations pour la protection de la biodiversité.

Les papillons de nuit sont souvent oubliés malgré leur importance au sein des écosystèmes. Ces derniers sont pourtant indispensables dans la reproduction des plantes et ont un impact direct sur la production agricole. 

On peut d’ailleurs les considérer comme des espèces clés de voûte tant ils ont d’interactions, aussi bien avec leur habitat qu’avec les prédateurs.


Cet article vise à comparer les caractéristiques des papillons diurnes et nocturnes pour mieux comprendre l’influence respective de ces deux groupes dans les écosystèmes.

Les morphologies et comportements des papillons de nuit varient d’une espèce à l’autre, mais lorsqu’on les compare aux papillons diurnes, ces différences s’accentuent considérablement. La nature morphologique des lépidoptères nocturnes peut s’avérer plus avantageuse pour transporter le pollen au cours du processus de pollinisation tout comme les mécanismes et techniques qu’ils adoptent afin de collecter le nectar des plantes. 


Dépôt de pollen plus important
 

Une récente étude sur la pollinisation des ronces a révélé que le taux de pollen déposé sur les mûriers (Rubus fruticosus) se produit à un rythme plus intense au cours de la phase nocturne que pendant la phase diurne, les papillons de nuit constituant la majorité des espèces observées lors des visites nocturnes. 

Pendant trois jours et sur dix sites différents, près de 380 000 photographies de grains de pollen déposés sur les stigmates de ces ronces ont été prises. Les scientifiques ont ainsi remarqué que le dépôt des grains par les papillons de nuit était supérieur par rapport aux espèces diurnes.

Ce constat pourrait s'expliquer par la structure plus duveteuse des papillons de nuit (poils plus épais et plus longs), à laquelle le pollen se fixerait mieux, favorisant ainsi une pollinisation plus efficace et diversifiée. En effet, cette particularité physique des papillons de nuit permet de transporter une plus grande quantité de pollen sur leur corps, augmentant ainsi les chances de fécondation croisée* entre les fleurs.

D’autre part, les professeurs de l’Université de Sussex (Brighton, Royaume-Uni) ont émis l’hypothèse que la diversité génétique de la ronce serait plus grande en raison d’une augmentation de la pollinisation croisée par les pollinisateurs. En d’autres termes, les pollinisateurs permettent de favoriser la variabilité génétique des plantes, augmentant ainsi leur capacité à s'adapter à l'environnement.

*pollinisation d’une fleur par un pollen compatible issu d’une autre plante.

Pourquoi la ronce ?

La ronce commune ou “mûrier” (rubus fruticosus) est une espèce très répandue sur le continent européen. Son rôle dans le fonctionnement des écosystèmes est primordial pour la survie de nombreuses espèces d’oiseaux, de mammifères et d’insectes pollinisateurs.

En plus d’être une source éminente de nectar et de pollen, la ronce offre à la faune sauvage une protection contre les prédateurs ainsi qu’un lieu où certains oiseaux construisent leur nid.

Quant à certaines espèces de lépidoptères, la ronce couvre tous les besoins de leur cycle de vie (plante hôte pour la ponte des œufs, feuilles utiles à l’alimentation des chenilles, et production de nectar que les papillons butinent).

En contrepartie, le papillon assure la reproduction de la ronce en transportant son pollen, c’est ce que l’on appelle le mutualisme.
 

Efficacité sur la nouaison 

Même si les insectes diurnes représentent une plus grande diversité de populations, on distingue une nette différence en termes de rendement par rapport aux papillons de nuit. 

Il y a quelques années, des chercheurs brésiliens ont réalisé des expériences d’exclusion (isolement au cours d’une période donnée) sur une plante tropicale de la famille des Fabacées (Inga sessilis),  démontrant qu’il existe des disparités dans la contribution relative des visiteurs. 

Au cours des analyses, deux situations ont permis de vérifier l’efficacité des pollinisateurs : les plantes ont d’abord été isolées avec des sacs en nylon de l’aube jusqu’à l’après-midi de la même journée (pour empêcher la pollinisation diurne), et du crépuscule jusqu’au lever du soleil pour le deuxième échantillon testé  (pour empêcher la pollinisation de nuit).

Sur les 668 fleurs utilisées, les 335 fleurs pouvant être pollinisées le jour ont produit seulement quatre fruits, contre douze fruits pour les 333 fleurs la nuit ! Les plantes pollinisées par les visiteurs nocturnes se sont donc révélées plus productives durant cette expérience, ce qui témoigne de l’importance de la biodiversité nocturne dans nos écosystèmes. 

Photographie de la plante Inga sessilis (Pois doux en français)
© Felipe Tubarao / iNaturalist


Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Une étonnante découverte a été faite au cours des recherches sur l’Inga. En effet, certaines espèces de lépidoptères nocturnes de la famille des Sphinx pourraient transporter le pollen jusqu’à 15 km plus loin que le site de collecte ! Ainsi, les longues distances de dissémination parcourues par les papillons de nuit permettraient d’augmenter la diversité génétique des plantes. 


Enfin, les papillons de nuit seraient dotés d’une caractéristique atypique : la sonication florale.

Des entomologistes de Floride pensent que les papillons de nuit utilisent cette méthode de pollinisation vibratile dynamique par bourdonnement, tout comme les abeilles. Effectivement, une espèce en particulier, la noctuelle, ferait vibrer son corps non seulement pour augmenter sa température corporelle, mais également pour faciliter le transfert du pollen au contact des tissus reproducteurs de la fleur (anthère des étamines). Ceux-ci réagiraient alors à la fréquence des battements d’ailes en augmentant la concentration de sucres dans le nectar.

Illustration d'une espèce de noctuelle (Feralia comstocki)
© benkeen / iNaturalist Canada  


Ces résultats encouragent à porter notre attention sur un monde que l’on ne voit pas, le monde de la nuit, un écosystème invisible à nos yeux mais important pour la survie de notre planète.

La biodiversité nocturne est mise en péril et l’équilibre écologique s'en retrouve menacé.
Il faut donc impérativement réduire l'intensité de nos activités (pollution lumineuse, destruction des habitats, surexploitation etc), adopter les bons comportements et comprendre le rôle clé que joue les plus petites espèces ! 

Références bibliographiques

  • F. W. Amorim, L. Galetto, M. Sazima. 2012. “Beyond the pollination syndrome: nectar ecology and the role of diurnal and nocturnal pollinators in the reproductive success of Inga sessilis (Fabaceae)”, Université Estadual de Campinas, Brésil (consulté le 24/04/2023).
  • Stephen M. R, Neelendra K. J, Ashley P.G. 2020. “Nocturnal vs. Diurnal Pollination of Self-Fertile Peaches and Muscadine Grapes” (consulté le 24/02/2023)
  • Isabelle C. 2020. “La ronce, un trésor pour la biodiversité” (consulté le 12/05/2023)
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