Une histoire de réseau trophique :
On retrouve dans un écosystème un réseau trophique, c’est-à-dire un ensemble de relations entre producteurs, consommateurs et décomposeurs, réseau qui est la plupart du temps impossible à représenter en entier.
Les espèces se retrouvant au plus bas de la chaîne trophique sont souvent cible de prédation. Pour qu’elles assurent leur survie, elles doivent développer des techniques et des comportements adaptés pour parer les attaques des prédateurs.
Dans le cas des Lépidoptères nocturnes et des chauves-souris, c’est une véritable course à l’armement qui est engagée depuis près de 65 millions d’années.
Les attaques d'écholocalisation
Dans un précédent article, nous avons découvert que les papillons de nuit avaient la capacité d’entendre et ainsi absorber les sons émis par l’écholocalisation des chauves-souris
Toujours en réponse à l’écholocalisation des chauve-souris, des scientifiques ont fait des découvertes assez spectaculaires sur la réaction de certains lépidoptères nocturnes.
Pour vérifier la réponse acoustique des papillons à une simulation d’attaque de chauve-souris, des chercheurs américains ont prélevé trois espèces de la famille des Sphingidae en Malaisie et en Indonésie (Cechenena lineosa, Theretra boisduvalii et Theretra nessus).
Afin d’évaluer précisemment la réaction des papillons face au biosonar des chiroptères, l’expérience a reproduit les conditions les plus réalistes possible.
Tout en pouvant voler, les papillons ont été attachés au bout d’une tige en plastique et leur thorax a été noué à leur abdomen (partie du corps qui produit les sons) pour mesurer la réponse.
A l’aide d’un logiciel utilisé en bioacoustique , des attaques de chauve-souris ont été simulées par un amplificateur situé à 10 cm de la tête des papillons (zone de détection des ultrasons). Ces simulations d'attaques, d’une durée de 0,7 à 0,9 secondes et d’un niveau sonore de 116 dB à hautes fréquences, ont reproduit le son de la chauve-souris malaisienne Kerivoula papillosa.
En réponse à ces attaques, les scientifiques ont remarqué que les papillons faisaient striduler des écailles sur leurs organes génitaux. En effet, des rafales d’ultrasons ont été enregistrées par les sphinx à un niveau sonore 15 dB (hautes fréquences non perceptible par l’homme).
Cette réponse émise est, en théorie, assez forte pour être perceptible par les chauve-souris, les rongeurs, les chats ou encore les primates. Cependant, la fonction précise des ultrasons anti-chiroptères produits par les papillons reste inconnue.
Ils permettraient d’avertir qu’ils ont mauvais goût ou bien d’interférer avec le biosonar, selon les hypothèses des chercheurs. Mais la plupart des lépidoptères adoptent un comportement d’évasion lorsqu’ils sont stimulés par les ultrasons.
Une étude plus récente a révélé que les écailles du thorax chez deux familles de Lépidoptères d’espèces tropicales (saturniidae et papilionidae) agissent comme des absorbeurs poreux très efficaces d'ultrasons, réduisant considérablement la rétrodiffusion acoustique* et offrant un camouflage acoustique furtif face aux chauves-souris.
*réflexion d’une onde sonore vers son point d’origine
Cependant, les changements rapides des milieux naturels dus à la perte d'habitat, à la pollution lumineuse, aux pesticides et à d'autres activités anthropiques peuvent compromettre la capacité des papillons à échapper aux prédateurs.
Par exemple, les lépidoptères nocturnes et autres espèces d’insectes volants sont désorientés face aux lumières artificielles et deviennent instantanément plus vulnérables face aux chauve-souris.
Comment protéger les papillons de nuit ?
Récemment considérés comme les pollinisateurs sauvages les plus efficaces, nous devons favoriser la survie de ces espèces précieuses et atténuer les facteurs les menaçant.
Protéger les habitats : Avec des pratiques de gestion favorable à la biodiversité, tel que la fauche tardive, la diversification des habitats en favorisant la pousse de haies et de prairies fleuries et diversifiées, ou encore la création d'espaces en friche ou en jachère.
Réduire la pollution lumineuse : Choisir un éclairage non nocif pour la biodiversité nocturne, tel qu'un éclairage dirigé vers le bas et programmé ou encore l'utilisation de lampes non nocives pour la biodiversité nocturne (éviter l'éclairage blanc, les ultraviolets ainsi que les lampes à large spectre de longueurs d'onde, et enfin, la lampe doit respecter une température inférieure à 3000 Kelvin).
Utiliser les terres agricoles durablement : Favoriser une agriculture moins dépendante des pesticides.
Les acteurs agricoles, gestionnaires d'espaces verts et particuliers peuvent lier biodiversité et pratiques de gestion. En parallèle, la mise en place d'inventaires de biodiversité permet d'estimer l'efficacité de ses pratiques au fil du temps et de suivre l'état de son milieu.
Références bibliographiques :
- Marc Girondot, faculté des sciences d'Orsay, Université Paris Saclay. "Réseaux trophiques": https://hebergement.universite-paris-saclay.fr/marcgirondot/data/Cours/EE/R%C3%A9seaux_Trophiques_20200928.pdf (consulté le 12/02/2024)
- Jesse R and Akito Y. Publié le 13/08/2013. “Hawkmoths produce anti-bat ultrasound”, Department of Biological Sciences, Boise State University, USA et Florida Museum of Natural History, University of Florid (consulté le 09/02/2024)
- Thomas R., Zhiyuan S, Daniel R, Bruce W. et Marc W. Publié le 26/02/2020. "Thoracic scales of moths as a stealth coating against bat biosonar", School of Biological Sciences, University of Bristol, Bristol, UK (consulté le 13/02/2024)
- Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Publié le 07/02/2022. "Le plan Ecophyto, qu'est ce que c'est ?" (consulté le 23/02/2024)
- Préfecture de l’Eure, Direction départementale des territoires et de la mer. Publié en avril 2014. "Pollution lumineuse et biodiversité" (consulté le 23/02/2024)