Les papillons de nuit et la pollinisation

LES PAPILLONS DE NUIT ET LA POLLINISATION

Si les pollinisateurs les plus connus sont les abeilles, il existe d’autres insectes tels que les coléoptères et les lépidoptères qui assurent également le transfert du pollen de nombreuses espèces de plantes (M. Gibernau & al., 2016). 

Moro-sphinx, Macroglossum stellatarum (Linnaeus, 1758) © Duncan MacArthur / Biosphoto

09 août 2022

LES PAPILLONS DE NUIT COMPLÉMENTAIRES AUX AUTRES ESPÈCES POLLINISATRICES.

À l’heure actuelle, les pollinisateurs sauvages connaissent un déclin important.


Cependant, l’étude du déclin des pollinisateurs sauvages ainsi que la compréhension de leur rôle dans le fonctionnement des écosystèmes sont inégales entre les groupes taxonomiques. Par exemple, les abeilles sauvages ou les papillons de jour sont bien étudiés, alors que les diptères et les papillons de nuit le sont beaucoup moins. 


Ce manque de connaissances limite fortement notre compréhension de l’impact des  activités humaines sur les réseaux trophiques. Il en résulte également que faute de connaissances sur ces groupes taxonomiques, les actions entreprises pour réduire l’impact des pressions anthropiques sur les pollinisateurs sauvages peuvent être moins efficaces qu'escompté. C’est pourquoi, il est important de mener des actions et des études sur ces pollinisateurs moins connus pour établir de réels constats sur la situation et le rôle de ces groupes taxonomiques.


Ainsi, en Suisse, des chercheurs se sont intéressés à la pollinisation (cf. encadré ci-dessous) d’une espèce en particulier, le trèfle des prés, par les bourdons et les papillons de nuit (Alison.J & al, 2022).


Qu’est ce que la pollinisation ? 
La pollinisation est l’une des étapes essentielles pour la reproduction sexuée des plantes à fleurs. Autrement dit, il s’agit du transfert de grains de pollen entre les fleurs de différentes plantes de la même espèce ! Il existe différents types de pollinisation. Elle peut-être entomophile où il est indispensable que la pollinisation soit assurée par le déplacement des insectes (Wilk. B & al, 2019). Des espèces floristiques peuvent avoir plusieurs modes de pollinisation : en plus d’être pollinisées par les insectes, elles peuvent également être pollinisées par le vent (pollinisation dite anémophile).
De nombreuses espèces de plantes étant utilisées dans l’alimentation et la fabrication des matières, les pollinisateurs sont ainsi essentiels aux activités humaines. En effet, 75% des cultures vivrières principales du monde présentent une augmentation de leur rendement grâce à la pollinisation animale. En milieu tempéré, le taux d’espèces sauvages qui dépendent des insectes pour assurer leur pollinisation est de 78% (J.Ollerton & al. 2010)


Le trèfle des prés.

Le trèfle des prés (Trifolium pratense) est une espèce de la famille des Fabacées. C’est une espèce fourragère qui produit une quantité importante de nectar. C’est également une grande productrice de graines, ce qui en fait un sujet intéressant pour étudier l’influence des pollinisateurs sur son succès reproducteur. 


Jusqu’à présent, ses pollinisateurs principaux ont été identifiés comme étant différentes espèces de bourdons. Cependant, le rôle des papillons de nuit dans sa pollinisation a jusqu’ici été largement négligé !


Nous savons qu’en Grande-Bretagne, la fréquence de trèfles des prés, soit le nombre de fois moyen où il a été rencontré, a diminué d’environ 30% depuis les années 80. Une corrélation a été établie entre la diminution du trèfle et le déclin des bourdons.


Les papillons de nuit et le trèfle des prés.

Après environ deux mois d’expérience et d’observation, les scientifiques ont constaté que le trèfle des prés est visité à 34% par les lépidoptères nocturnes contre 61% par les bourdons, les papillons de nuit sont essentiellement présents le soir et tôt le matin.


Le papillon le Hibou (Noctua pronuba (Linnaeus, 1758)) a été particulièrement recensé. Il s’agit d’une espèce très dominante en Europe et en Amérique du Nord.


À la différence des bourdons, les papillons de nuit restent plus longtemps sur une inflorescence, à la recherche de nourriture. Ce temps posé sur la plante faciliterait le dépôt du pollen. De plus, les inflorescences ayant reçu la visite de bourdons ainsi que de papillons de nuit ou seulement de papillons de nuit présentent une quantité de graines environ 12% plus élevée que les inflorescences n’ayant pas reçu de visites, mais sans pouvoir faire de distinction entre les inflorescences ayant été visitées par les bourdons seuls, les bourdons et les papillons de nuit ou les papillons de nuit seuls. 


Cette étude souligne donc le rôle essentiel et pourtant jusqu’ici ignoré des papillons de nuit dans la pollinisation d’une espèce fourragère fortement cultivée pour l’alimentation des animaux d’élevage ! 


Noctua pronuba (Linnaeus,1758) © Alan Barnes / Photoshot / Biosphoto
Noctua pronuba (Linnaeus,1758) © Alan Barnes / Photoshot / Biosphoto

Une autre étude (Walton RE. & al. 2020) que nous évoquions dans un précédent article avait montré que les papillons de nuit sont des acteurs majeurs des réseaux de plantes-pollinisateurs sauvages dans les agrosystèmes et jouent un rôle complémentaire des pollinisateurs diurnes. 

 

En effet, ils transportent du pollen provenant de nombreuses espèces de plantes également visitées par des pollinisateurs diurnes, plus spécifiquement des Rosacées et des Fabacées tel que le trèfle des prés. 

Dans l’étude suisse, cette complémentarité est soulignée par une mesure encore plus précise grâce à l’estimation de la fonction de pollinisation mesurée ici par la production de graines.


Malgré les récentes avancées scientifiques sur le rôle complémentaire des pollinisateurs diurnes et nocturnes et la meilleure compréhension de l’importance des pollinisateurs nocturnes dans la pollinisation des plantes, les efforts de conservation ne sont encore essentiellement concentrés que sur les pollinisateurs diurnes. 

Dans un contexte de déclin général de la biodiversité, il est primordial de ne pas attendre une connaissance exhaustive de l’importance des pollinisateurs nocturnes dans le fonctionnement des écosystèmes pour agir en faveur de leur conservation. Cela passe nécessairement par la réduction de nombreuses activités humaines comme l’utilisation massive d’éclairage artificiel et de produits phytopharmaceutiques ou encore la destruction d’habitats liés par exemple à l’artificialisation des sols !


Références bibliographiques :

  • Marc G, Angélique Q. 2016 Pollinisation : Des insectes mais aussi des vertébrés. Dossier Pollens, abeilles et compagnie - Jardins de France 643 - Septembre-octobre.
  • Groupe G7-Science 2020 Déclin mondial des insectes et érosion potentielle des services écosystémiques vitaux. G-Science Academies Statement
  • Wilk, B., Rebollo, V., Hanania, S. 2019. Guide pour les villes respectueuses des pollinisateurs : Comment les aménageurs et les gestionnaires de l’occupation du sol peuvent-ils créer des environnements urbains favorables pour les pollinisateurs ? Recommandations préparées par ICLEI Europe pour la Commission européenne.
  • J.  Ollerton and S. Tarrant, 2010, How many flowering plants are pollinated by animals, Oikos 120: 321–326, 2011                             
  • Alison J, Alexander JM, DiazZeugin N, Dupont YL, Iseli E, Mann HMR, HøyeTT. 2022 Moths complement bumblebee pollination of red clover: a case for day-and-night insect surveillance.Biol.  Lett.18:20220187.
  • Walton RE, Sayer CD, Bennion H, Axmacher JC. 2020 Nocturnal pollinators strongly contribute to pollen transport of wild flowers in an agricultural landscape. Biol. Lett. 16: 20190877.


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