Journée mondiale des abeilles

Nous célébrons aujourd’hui, en ce 20 mai 2020, la journée mondiale des abeilles. Le nom de cette journée ne mentionne que l’abeille. Pourtant, elle vise à sensibiliser le plus grand nombre au rôle des abeilles et des autres pollinisateurs dans le maintien de la biodiversité, ainsi qu'au déclin des populations de nombreuses espèces de pollinisateurs qui perdure depuis plusieurs décennies. Mais finalement, qui sont ces pollinisateurs ?
© Stéphane Vitzthum / Biosphoto
20 mai 2020
Nous célébrons aujourd’hui, en ce 20 mai 2020, la journée mondiale des abeilles. Le nom de cette journée ne mentionne que l’abeille. Pourtant, elle vise à sensibiliser le plus grand nombre au rôle des abeilles et des autres pollinisateurs dans le maintien de la biodiversité, ainsi qu'au déclin des populations de nombreuses espèces de pollinisateurs qui perdure depuis plusieurs décennies.

Mais finalement, qui sont ces pollinisateurs ?
Quel est leur rôle dans les écosystèmes ainsi que dans la production agricole et pourquoi chercher à préserver leur biodiversité ?
Quels facteurs les impactent négativement ? Enfin, quelles solutions sont à mettre en œuvre pour enrayer leur déclin ?

Dans cet article, nous tenterons de répondre brièvement à ces questions sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, et nous vous exposerons ce que Noé met en œuvre pour protéger ces formidables animaux.

Des pollinisateurs, au pluriel !

Les pollinisateurs sont des animaux responsables d’une partie de la pollinisation des plantes, la pollinisation étant le transport des grains de pollen vers les pistils des fleurs. La pollinisation est une étape nécessaire à la reproduction sexuée chez les plantes à graines. Tous les pollinisateurs ne sont pas des insectes. Ainsi, à l’échelle mondiale, environ 1 000 espèces d’oiseaux (ex : colibris), 350 espèces de mammifères (ex : chauves-souris) et 40 espèces de lézards sont des pollinisateurs, bien que ces chiffres soient certainement sous-évalués. Cependant, la grande majorité des pollinisateurs est constituée d'invertébrés, et plus particulièrement des insectes, avec un total estimé à environ 344 000 espèces pour les quatre ordres d’insectes pollinisateurs concernant leur diversité spécifique (Lépidoptères, Coléoptères, Hyménoptères et Diptères)1 !

Parmi ces insectes, les abeilles sont particulièrement connues du grand public. L’abeille domestique (Apis mellifera) en est une espèce, mais pas la seule « domestiquée » (ex : Apis dorsata essentiellement présente en Asie ; différentes espèces d’abeilles mélipones en Amérique centrale). En France, il existe environ 900 espèces d’abeilles2. Ces espèces varient fortement par rapport à de multiples caractéristiques, notamment leur morphologie comme leur taille corporelle et la longueur de leur langue, leur date d’émergence, leur niveau de socialité.

Les abeilles dépendent directement du pollen et du nectar produits par les fleurs aux différents stades de leur cycle de vie, qu’il s’agisse du stade larvaire ou du stade adulte3. Les abeilles sont fréquemment considérées comme les pollinisateurs les plus efficaces, bien qu’il y ait une très grande variabilité d’efficacité entre abeilles. Cette plus grande efficacité a été notamment montrée pour le dépôt de pollen lors des interactions avec les fleurs4,5. Cependant, l’efficacité pour la pollinisation est un sujet complexe recouvrant de nombreux paramètres6, et les autres pollinisateurs peuvent avoir un rôle considérable dans la pollinisation.

En effet, on l’oublie souvent, mais il n’y a pas que les abeilles qui pollinisent les fleurs des plantes sauvages comme cultivées ! Parmi les insectes oubliés pour la pollinisation il y a notamment les papillons avec environ 5000 espèces de papillons nocturnes en France soit 50% des espèces de pollinisateurs sauvage et 95% des espèces de papillons, et les Coléoptères avec environ 1000 espèces en France2. Les Diptères (qui rassemblent les « mouches » ou brachycères et les insectes ressemblant aux moustiques ou nématocères) sont également peu considérés. Pourtant, parmi les 125 000 espèces de Diptères décrites dans le Monde, nombre d’entre elles sont des pollinisateurs avec des familles bien représentées comme les Empididae (figure 1), les Syrphidae et les Bombylidae1,7.

En France, environ 1 000 espèces de Diptères pollinisateurs appartenant à ces seules trois familles sont présentes2. Les Diptères sont d’importants pollinisateurs dans de nombreux écosystèmes comme en milieu alpin8. Certaines espèces entrent dans des interactions très spécifiques avec des fleurs imitant (notamment via leur odeur) des champignons, des fèces ou des charognes. Les Diptères ont donc un rôle important dans l’écologie et l’évolution de nombreuses espèces de plantes à fleurs9.


Figure 1 : Empis sp. se nourrissant de nectar sur une inflorescence d’Apiacée. On voit clairement au niveau des pattes la présence d’amas de grains de pollen indiquant un transport et donc potentiellement un dépôt de grains de pollen au gré des interactions entre cet insecte et les fleurs qu’il visite. Source : © Roger Dauriac / Biosphoto

Un rôle essentiel pour les plantes cultivées et les plantes sauvages !

Les insectes pollinisateurs jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des écosystèmes. Ils participent à la structure des communautés de plantes sauvages par leur rôle dans la fonction de pollinisation10. Ils sont également essentiels pour assurer la pérennité de nombreuses espèces de plantes puisque 87,5% à l’échelle mondiale et 78% en région tempérée des espèces de plantes dépendent au moins partiellement des pollinisateurs sauvages pour assurer leur reproduction sexuée11. De plus, l’apport des pollinisateurs sauvages à la pollinisation des grandes cultures est l’un des arguments phares pour la préservation de ces derniers. La pollinisation des cultures effectuée par des animaux est un service écosystémique évalué entre 235 et 577 milliards de dollars (IPBES, 2016).

Le rôle de la diversité des pollinisateurs pour assurer la pollinisation des cultures est de plus en plus établi, et pourrait résulter de mécanismes de complémentarité entre espèces de pollinisateurs12. Ainsi, en augmentant la diversité des pollinisateurs via des mesures favorables (ex : arrêt des pesticides, infrastructures agro-écologiques), il serait possible d’augmenter les rendements de ces cultures. Cependant, ces relations sont encore à établir pour nombre de cultures, dont les besoins concernant la pollinisation entomophile sont fortement variables13.

Facteurs de déclin

Les populations d’un grand nombre d’espèces de pollinisateurs sauvages sont aujourd’hui en déclin, et de nombreuses espèces sont menacées ou proches de l’être. Cependant, les listes rouges pour ces insectes sont encore trop peu nombreuses et ne concernent notamment pas les Diptères. En Europe, sur les 1965 espèces d’abeilles présentes, environ 9% sont menacées et 5% sont proches de l’être, mais 57% manquent de données pour être évaluées14. En Belgique où le manque de données ne concerne qu’environ 9% des espèces, sur les 403 espèces d’abeilles présentes dans ce pays, environ 33% des espèces sont menacées, 7% sont proches de l’être et 12% sont éteintes régionalement15. En France, ces données ne sont pas encore disponibles. Pour autant, le déclin des pollinisateurs sauvages tout comme celui des insectes en général est un phénomène aujourd’hui établi et contre lequel il est nécessaire de lutter16.

Plusieurs facteurs expliquent ce déclin. Le plus important d’entre eux est la perte d’habitat qui est liée entre autres à l’urbanisation, mais avant tout à l’intensification de l’agriculture qui opère depuis la seconde moitié du 20ème siècle. Cette perte d’habitat s’est caractérisée notamment par une diminution de la disponibilité de ressources alimentaires (essentiellement pollen et nectar). Elle provient de l’arrêt de la culture des légumineuses fourragères, le retournement des prairies permanentes à forte diversité floristique ou l’intensification de leur utilisation avec des mises en exploitation plus précoces et l’application de fertilisants azotés mais aussi phosphorés. La suppression des haies et des plantes messicoles rendues possibles par une mécanisation plus importante et l’utilisation de pesticides de synthèse comme des désherbants systémiques peu couteux à la production mais très efficaces tel que le glyphosate en sont également des facteurs clefs. Les autres facteurs principaux impliquent les produits phytopharmaceutiques aux effets létaux ou sub-létaux, les espèces invasives ainsi que les changements climatiques 1,16.

Quelles solutions ?

Des outils utiles pour la communication mais questionnables pour la biodiversité


Qui n’a pas vu des annonces promouvant le parrainage de ruches pour soutenir les pollinisateurs en déclin ? La promotion de ce type de parrainage provient d’une confusion entre le déclin de l’abeille domestique (Apis mellifera) et celui des pollinisateurs sauvages. Bien que l’abeille domestique soit soumise à certaines pressions similaires aux pollinisateurs sauvages (ex : diminution des ressources florales ; exposition aux produits phytopharmaceutiques) en plus d’autres qui lui sont plus spécifiques (ex : Varroa destructor), elle s’en distingue par un point majeur : les colonies d’abeilles domestiques peuvent être multipliées efficacement par l’humain, ce qui n’est pas le cas de la plupart des espèces de pollinisateurs sauvages. De plus, l’introduction de ruches dans un environnement peut être fortement contre-productif par rapport à l’objectif affiché de protéger les pollinisateurs. En effet, même si l’apiculture peut être un support de sensibilisation des citoyens aux insectes pollinisateurs et aux différentes thématiques qui leur sont associées, de plus en plus de preuves s’accumulent sur la compétition entre l’abeille domestique et les pollinisateurs sauvages. Ces preuves sont issues de travaux en milieu urbain17 et (semi-) naturel18,19. Cette compétition se caractérise par les très grands besoins en ressources florales des colonies d’abeilles domestiques, couvrant l’ensemble de la saison propice aux pollinisateurs20.

Parmi les outils proposés et régulièrement mis en place par de nombreux acteurs pour enrayer le déclin des abeilles figurent également les hôtels à abeilles. Ces hôtels servent de gites pour certaines abeilles sauvages, en particulier les abeilles de la famille des Mégachilidae. On trouve également dans ces hôtels d’autres abeilles comme les xylocopes. Cependant, les hôtels à abeilles peuvent être défavorables aux abeilles locales en servant de gîte pour une espèce d’abeille exotique : Megachile sculpturalis21. La prudence reste donc de mise, alors que ces hôtels ne sont dans tous les cas pas bénéfiques pour la vaste majorité des espèces d’abeilles (sans évoquer les autres pollinisateurs) car 75% de ces dernières nichent dans le sol22.

Implanter des ressources florales : une solution efficace au moins localement


Afin d’enrayer le déclin des pollinisateurs sauvages, il est finalement nécessaire de réintroduire ou de favoriser la présence de ressources florales dans le paysage tout en augmentant leur quantité et leur diversité à l’échelle locale, notamment via l’implantation d’infrastructures qui incluent en autres les bandes fleuries, les jachères fleuries, les haies.

L’implantation de ces infrastructures s’appuie notamment sur deux grands constats :
1) la densité de la ressource florale au sein d’un habitat est un bon prédicteur de l’abondance et de la diversité des pollinisateurs qui y fourragent
2) plus la diversité de la ressource est importante, plus la diversité spécifique des pollinisateurs l’est également23.

Il s’agit également de laisser la flore spontanée s’épanouir notamment par un changement de notre regard sur la nature en particulier dans les milieux sans enjeu de production comme la ville, ou par des changements profonds dans l’agriculture comme la réduction de la taille des parcelles24,25, le passage à une agriculture biologique26 ou encore une diminution de l’intensité d’utilisation des prairies même en agriculture conventionnelle27. 

Sur la base de ces constats, agissons !

Les pollinisateurs représentent donc une diversité importante, ont un rôle central dans le fonctionnement des écosystèmes et dans la production des biens agricoles, mais connaissent aujourd’hui un déclin, bien que notre niveau de connaissance soit encore fortement variable selon les taxons. Il existe pourtant des solutions pour enrayer ce déclin. Ces solutions, notre association les porte chaque jour au travers de ses différents programmes. Notamment, nous sensibilisons les citoyens et les professionnels à la diversité des pollinisateurs sauvages par nos programmes de sciences participatives. Nous œuvrons également à rendre les milieux favorables à la biodiversité dite « ordinaire » et notamment aux pollinisateurs sauvages. Ces actions, nous les portons en milieu urbain comme en milieu agricole, par exemple en agissant pour la réduction voire la suppression des intrants de synthèse, la réduction de la pollution lumineuse ou encore l’implantation de ressources florales !

Références 

  1. Ollerton, J. Pollinator Diversity: Distribution, Ecological Function, and Conservation. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst. 48, 353–376 (2017).

  2. Gadoum, S. & Roux-Fouillet, J.-M. Plan national d’actions « France Terre de pollini- sateurs » pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages. 136 (2016).

  3. Michener, C. D. The bees of the world. (Johns Hopkins University Press, 2007).

  4. Willmer, P. G., Cunnold, H. & Ballantyne, G. Insights from measuring pollen deposition: quantifying the pre-eminence of bees as flower visitors and effective pollinators. Arthropod-Plant Interact. 11, 411–425 (2017).

  5. Ballantyne, G., Baldock, K. C. R., Rendell, L. & Willmer, P. G. Pollinator importance networks illustrate the crucial value of bees in a highly speciose plant community. Sci. Rep. 7, 8389 (2017).

  6. Ne’eman, G., Jürgens, A., Newstrom-Lloyd, L., Potts, S. G. & Dafni, A. A framework for comparing pollinator performance: effectiveness and efficiency. Biol. Rev. no-no (2009) doi:10.1111/j.1469-185X.2009.00108.x.

  7. Woodcock, T. S., Larson, B. M., Kevan, P. G., Inouye, D. W. & Lunau, K. Flies and flowers II: Floral attractants and rewards. J. Pollinat. Ecol. 12, (2014).

  8. Lefebvre, V., Fontaine, C., Villemant, C. & Daugeron, C. Are empidine dance flies major flower visitors in alpine environments? A case study in the Alps, France. Biol. Lett. 10, 20140742 (2014).

  9. Raguso, R. A. Don’t forget the flies: dipteran diversity and its consequences for floral ecology and evolution. Appl. Entomol. Zool. 55, 1–7 (2020).

  10. Lundgren, R., Totland, Ø. & Lázaro, A. Experimental simulation of pollinator decline causes community-wide reductions in seedling diversity and abundance. Ecology 97, 1420–1430 (2016).

  11. Ollerton, J., Winfree, R. & Tarrant, S. How many flowering plants are pollinated by animals? Oikos 120, 321–326 (2011).

  12. Woodcock, B. A. et al. Meta-analysis reveals that pollinator functional diversity and abundance enhance crop pollination and yield. Nat. Commun. 10, 1481 (2019).

  13. Garibaldi, L. A., Sáez, A., Aizen, M. A., Fijen, T. & Bartomeus, I. Crop pollination management needs flower‐visitor monitoring and target values. J. Appl. Ecol. 57, 664–670 (2020).

  14. Nieto, A. et al. European red list of bees. (Publications Office, 2014).

  15. Drossart M., Rasmont P., Vanormelingen P., Dufrêne M., Folschweiller M., Pauly A., Vereecken N. J., Vray S., Zambra E., D’Haeseleer J. & Michez D. Belgian Red List of Bees. 140 (2019).

  16. Goulson, D. The insect apocalypse, and why it matters. Curr. Biol. 29, R967–R971 (2019).

  17. Ropars, L., Dajoz, I., Fontaine, C., Muratet, A. & Geslin, B. Wild pollinator activity negatively related to honey bee colony densities in urban context. PLOS ONE 14, e0222316 (2019).

  18. Hung, K.-L. J., Kingston, J. M., Lee, A., Holway, D. A. & Kohn, J. R. Non-native honey bees disproportionately dominate the most abundant floral resources in a biodiversity hotspot. Proc. R. Soc. B Biol. Sci. 286, 20182901 (2019).

  19. Henry, M. & Rodet, G. Controlling the impact of the managed honeybee on wild bees in protected areas. Sci. Rep. 8, 9308 (2018).

  20. Cane, J. H. & Tepedino, V. J. Gauging the Effect of Honey Bee Pollen Collection on Native Bee Communities: Apis pollen depletion and native bees. Conserv. Lett. 10, 205–210 (2017).

  21. Geslin, B. et al. Bee hotels host a high abundance of exotic bees in an urban context. Acta Oecologica105, 103556 (2020).

  22. Westrich, P. Habitat requirements of central European bees and the problems of partial habitats. Linn. Soc. Symp. Ser. 18, 1–16 (1996).

  23. Ebeling, A., Klein, A.-M., Schumacher, J., Weisser, W. W. & Tscharntke, T. How does plant richness affect pollinator richness and temporal stability of flower visits? Oikos 117, 1808–1815 (2008).

  24. Alignier, A. et al. Configurational crop heterogeneity increases within‐field plant diversity. J. Appl. Ecol.57, 654–663 (2020).

  25. Sirami, C. et al. Increasing crop heterogeneity enhances multitrophic diversity across agricultural regions. Proc. Natl. Acad. Sci. 116, 16442–16447 (2019).

  26. Wintermantel, D., Odoux, J., Chadœuf, J. & Bretagnolle, V. Organic farming positively affects honeybee colonies in a flower‐poor period in agricultural landscapes. J. Appl. Ecol. 1365-2664.13447 (2019) doi:10.1111/1365-2664.13447.

  27. Ekroos, J. et al. High land-use intensity in grasslands constrains wild bee species richness in Europe. Biol. Conserv. 241, 108255 (2020).

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