utiliser les nouvelles technologies pour mieux connaître les insectes ?

Intelligence artificielle et nouvelles technologies : une opportunité

Dans un article publié récemment, une équipe de chercheurs européens a montré comment les nouvelles méthodes de collecte massive de données (photographie, écoute…) couplée à de l’intelligence artificielle peuvent contribuer à combler notre manque de connaissances sur l’état des populations d’insectes. Des méthodes qui doivent certainement connaître encore une phase de maturation, mais qui demeurent plus que prometteuses. Noé vous synthétise ici cet article pour vous montrer l’étendue de ces perspectives !
12 février 2021
Alors que les insectes représentent un nombre considérable d’espèces sur Terre (estimé à environ 5,5 millions) (2), de nombreuses études montrent un déclin drastique de leur abondance, bien que comme toujours certaines espèces en sortent gagnantes ! 

Cependant, les preuves de ce déclin présentent encore d’importantes limites notamment d’ordre :
 
  • taxonomiques puisque certains insectes sont très étudiés (ex : les papillons de jour) et d’autres très peu (ex : de nombreuses familles de mouches) 
  • spatiales avec de nombreuses études provenant d’Europe du Nord et des Etats-Unis alors que le plus grand nombre d’espèces se situe sous les tropiques (plus on va vers les tropiques, plus la diversité des insectes est importante)
  • temporelles puisque la majorité des études ne couvrent qu’un nombre limité d’années alors que les populations d’insectes fluctuent naturellement d’une année sur l’autre ! 

Ces limites de connaissances sont explicables en partie par les méthodes historiquement employées pour suivre les insectes : elles prennent du temps, sont couteuses et nécessitent des experts eux-mêmes peu nombreux. En somme, elles sont peu efficaces ! Pour combler ces lacunes, de nouvelles méthodes fondées sur les « nouvelles » technologies ont émergé et continuent d’être développées.
 
De quelles technologies parle-t-on ? Deux grandes catégories sont particulièrement prometteuses, qui ont connu un développement immense grâce à l’avènement de l’informatique et l’explosion des puissances de calcul au cours des dernières décennies permettant de gérer et exploiter de grandes bases de données numériques :
 

1) Une méthode fondée sur la biologie moléculaire : le « DNA barcoding » ou codage à barre de l’ADN 

Le principe de cette méthode est d’étudier des séquences spécifiques de l’ADN pour reconnaître des organismes. On pourrait faire l’analogie suivante : dans un magasin, tous les produits ont un code-barres, identique pour deux mêmes produits. Ainsi, tous les produits sont identifiables à partir de leur code-barres, sous réserve que celui-ci soit bien référencé. S’il y a des code-barres inconnus, il faudra alors les identifier. C’est ce principe qui est derrière le metabarcoding (ou codage à barre de l’ADN à l’échelle des communautés) ! Le magasin c’est l’écosystème, les produits sont les organismes et tous les produits forment la communauté à étudier. Un environnement est échantillonné (eau, terre, ou même le système digestif !) et tous les code-barres (séquences spécifiques de l’ADN) des organismes présents vont être récupérés grâce à l’extraction de l’ADN, son amplification puis son séquençage.Les codes-barres ainsi obtenus vont être comparés aux codes-barres contenus dans des bases de données afin d’être identifiés. 

Le métabarcoding permet ainsi de connaître les organismes qui sont présents dans un milieu en se basant sur leur ADN, et permet donc de s’affranchir d’une reconnaissance visuelle (à condition d’avoir des bases de données de référence !).
 

2) Les méthodes d’imagerie et de bioacoustique 

Ces méthodes consistent à prendre collecter deux types de données : des images (via des pièges photographiques) et des sons émis par des animaux, permettant ensuite leur identification.
Le traitement des données ainsi collectées (par exemple des photographies ou des sons) connait un développement important depuis plusieurs décennies suite aux travaux de recherche considérables entrepris sur l’intelligence artificielle et plus spécifiquement l’apprentissage profond (deep learning) ainsi que la vision par ordinateur. Le principe ici est de récolter de nombreuses images ou sons, labellisées par espèce (c’est-à-dire qu’on a identifié à quelle espèce correspond la photographie ou le son), puis de fournir ces données à un algorithme qui va apprendre par lui-même des règles d’identification qu’il pourra réutiliser lorsqu’on lui fournira de nouvelles images ou de nouveaux sons. L’application de ces méthodes à l’écologie connait une croissance considérable, bien qu’elle soit encore sous-utilisée pour le suivi des invertébrés et notamment… des insectes !

Collecter des données in situ sur les insectes à l’aide de capteurs : des exemples de réussites

Plusieurs dispositifs ont déjà été développés ou sont en cours de développement pour permettre un suivi écologique automatisé des insectes.

Au commencement… les insectes nuisibles !

C’est le cas notamment de dispositifs permettant de suivre par photographie des espèces nuisibles pour l’agriculture. Ces premiers dispositifs, létaux, attirent les insectes, par exemple à l’aide de phéromones. Les insectes se collent sur des surfaces adhésives et sont pris automatiquement en photographie. Les photographies sont ensuite analysées à l’aide d’un algorithme d’apprentissage profond pour identifier et compter l’espèce recherchée.

Suivre les papillons de nuit de manière automatisée ? C’est aussi possible !

Un dispositif permettant le suivi en temps réel de papillons de nuit a récemment été mis au point par une équipe de chercheurs danois. Ce dernier est non (ou peu) létal et donc plus intéressant pour les écologues comme pour les amoureux de la nature. Il reproduit la méthode du drap blanc où une lampe UV attire les papillons nocturnes qui se posent sur une surface blanche. Les insectes ainsi posés sont détectés par une webcam. Ce dispositif permet d’identifier certaines espèces et de compter en temps réel les papillons.

Une machine pour observer les interactions plantes-pollinisateurs

Un autre dispositif a été mis au point pour suivre en temps réel l’activités de pollinisateurs entrain de butiner des fleurs ! Ce dispositif repose sur des webcams placées au-dessus de surfaces fleuries et filmant les insectes en activités. Un algorithme d’apprentissage profond permet de mesurer l’activité des insectes, et même de classer cette activité par espèce de pollinisateurs pour certains d’entre eux (comme l’abeille domestique).

Compter les insectes tombant dans des pièges

D’autres dispositifs, également en cours de développement, permettent de compter les insectes et d’estimer leur taille lorsqu’ils tombent dans un piège et traversent un faisceau infrarouge. Des systèmes similaires sont déjà bien employés en océanographie pour étudier le plancton. Les célèbres expéditions à bord du voilier Tara en sont un bon exemple avec le dispositif FlowCam ! (3)

Quelques exemples de bioacoustique

Les approches par bioacoustique connaissent également une augmentation de leur application à l’entomologie. Il s’agit ici d’enregistrer puis analyser les sons émis par les insectes qui sont propres à chaque espèce, par exemple lorsqu’ils sont en vol ou lorsqu’ils font grincer leurs ailes. Ainsi, des suivis de sauterelles et de moustiques ont pu être réalisé par ces approches combinées à de . La bioacoustique pourrait également être employée pour suivre les abeilles sauvages et les sauterelles avec un niveau de précision atteignant l’espèce !

Des radars pour suivre les phénomènes de migration

Enfin, différentes technologies radars ont également été testées pour assurer le suivi d’insectes, notamment lorsqu’ils forment des groupes importants en mouvement. Elles permettent par exemple d’évaluer la biomasse d’insectes lors de phénomènes de migration qui concernent de nombreuses espèces d’insectes volants et qui peuvent former de véritables marées d’insectes !

Vers l’identification des insectes !

L’utilité de cette masse de données acquise avec les différentes méthodes que nous venons d’évoquer ne prend tout son sens que si on est capable d’identifier les insectes à l’aide de ces données (c’est-à-dire savoir quelles espèces sont détectées à l’aide des capteurs). Cette capacité à identifier les insectes à l’aide de l’apprentissage profond est encore en cours de développement !

La performance des algorithmes de reconnaissance par apprentissage profond est dépendante de la qualité des données fournies aux algorithmes. Or, on sait que certains organismes étaient plus étudiés que d’autres.

Pour ces organismes, la reconnaissance sera facilitée par rapport à des insectes peu ou pas étudiés. De plus, jusqu’à présent la qualité des identifications sont moins bonnes pour des insectes observés dans leur environnement naturel par rapport à celles des insectes de collections. Cependant, ces derniers peuvent permettre de constituer de premières bases de données qui seront mobilisables pour identifier les insectes observés in situ. L’identification d’organismes vivants observés sur le terrain est pour autant largement envisageable comme le montre les succès rencontrés par les applications de reconnaissances de végétaux, recensant plus de 20 000 espèces. Toutes ces limites soulignent un élément clé : il faut d’énormes quantités d’images ou de sons bien labellisés et couvrant un maximum d’espèces pour entrainer les algorithmes à auto-apprendre des règles d’identification et ainsi faire progresser nos connaissances.

La construction de telles bases de données pourrait être rendue possible grâce aux sciences participatives et à l’intelligence collective. Nous sommes convaincus que ces méthodes sont utiles et complémentaires aux approches plus classiques de suivi des insectes !
 
Des questions, des remarques sur les pollinisateurs sauvages ? Contactez-nous : jgoulnik@noe.org

Références
1) Høye, T. T. et al. Deep learning and computer vision will transform entomology. PNAS 118, 10 (2021).
2) Eggleton, P. The State of the World’s Insects. Annu. Rev. Environ. Resour. 45, annurev-environ-012420-050035 (2020).
3) Gorsky, G. et al. Expanding Tara Oceans Protocols for Underway, Ecosystemic Sampling of the Ocean-Atmosphere Interface During Tara Pacific Expedition (2016–2018). Front. Mar. Sci. 6, 750 (2019).
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