Les usages de l’eau en France :
On distingue, en matière d’usage de l’eau, les prélèvements et les consommations. Les prélèvements correspondent à l’eau qui est prélevée dans le milieu mais peut être restituée. A l’inverse, l’eau consommée est prélevée puis utilisée et ne retourne pas dans le milieu. Cette distinction est importante lorsque l’on s’intéresse aux usages de l’eau sur le territoire français.
En matière de production d’énergie (pour refroidir les centrales par exemple), ce sont des prélèvements d’eau qui sont majoritairement effectués à hauteur de 64% du total national. Cependant, en matière agricole, les prélèvements ne représentent plus que 9% du total des prélèvements métropolitains. En revanche, l’irrigation agricole correspond à près de la moitié (48%) de l’ensemble des consommations d’eau en France ! Ainsi, les produits issus de l’agriculture constituent 84% de l’empreinte eau moyenne d’un européen !
Pourtant, seules 10% des surfaces agricoles sont irriguées et seules quelques cultures nécessitent le recours à l’irrigation. C’est notamment le cas du maïs (dont 40% des surfaces sont irriguées). Si on s’intéresse de plus près au maïs, sa culture représente à elle seule la moitié des surfaces irriguées du territoire national. Très demandeuse en eau pendant la période la plus sensible (entre juin et août), elle se destine pourtant principalement à l’alimentation animale et à l’industrie, et n’est que très peu consommée directement par l’Homme.[1]
Les impacts de la sécheresse :
La sécheresse se définit comme un « épisode de manque d’eau plus ou moins long, mais suffisant pour que les sols et la flore soient affectés ». Selon la gravité du manque d’eau, elle peut conduire à différents phénomènes que l’on a pu constater cette année : assèchement des cours d’eau, déstabilisation des milieux naturels, augmentation du risque d’incendies…
La biodiversité est fortement impactée par la sécheresse. D’abord parce que l’eau se réchauffe, ce qui bouleverse les équilibres et peut défavoriser certaines espèces par rapport à d’autres. Des espèces peuvent, par exemple, ne pas survivre au-delà d’une température trop chaude (on pense en particulier aux poissons). Mais aussi, dans le cas de sécheresses importantes, comme on a pu le voir cet été, l’assèchement partiel ou complet de certaines portions d’un cours d’eau peut conduire à la disparition d’espèces peu mobiles, notamment les amphibiens.[2]
Les forêts sont également particulièrement et fortement affectées par les épisodes de sécheresse. Elles ont pourtant un rôle central dans la régulation de la température grâce à la transpiration des arbres qui permet de refroidir localement la température de l’air, offrant ainsi un abri pour la biodiversité. Ce phénomène de transpiration est néanmoins fortement perturbé par le manque d’eau entraînant un assèchement de l’air ambiant et favorisant le risque d’incendie.
Les épisodes des sécheresse sont enfin très impactants pour les cultures agricoles et les élevages. Les conditions climatiques du printemps et de l’été 2022 ont affecté la production de différentes cultures, en particulier : le maïs (-18% de production), l’herbe et les fourrages (-21%) avec des disparités régionales très marquées. Les productions de fruits et légumes ont également été touchées. Les éleveurs bovins, privés d’une partie de l’herbe des pâturages, ont déjà dû commencer à recourir aux fourrages stockés en vue de l’hiver et devront parfois abattre leur cheptel plus tôt que prévu.
Les solutions :
Pendant la période à risque, entre juin et août, jusqu’à 80% de l’eau est consommée par l’agriculture. Pourtant, différents leviers d’action peuvent être mis en œuvre pour limiter la pression estivale sur la ressource en eau par l’agriculture. L’amélioration des apports – « la bonne dose au bon moment » - peut conduire à réduire la consommation à hauteur de 30% des apports actuels. Le développement de pratiques agroécologiques en faveur de la restauration de la qualité des sols agricoles offre par ailleurs des perspectives intéressantes. Pour autant, la remise en question de notre modèle agricole doit aussi passer par celle de nos choix des cultures, notamment la question du remplacement du maïs dans l’assolement français, en particulier dans les régions les plus vulnérables.
La culture du sorgho est ainsi mise en avant comme piste d’adaptation pour l’agriculture. Cette plante est plus adaptée aux hautes températures et à la sécheresse (grâce à son système racinaire profond) et représente une alternative intéressante au maïs dans certaines zones géographiques particulièrement sujettes à la baisse de l’eau disponible. Toutefois, cette culture reste majoritairement destinée à l’alimentation animale et « occupe » donc le sol à la place de cultures qui pourraient se destiner directement à l’alimentation humaine.
Une étude scientifique publiée en 2013, montrait déjà que l’adoption d’un régime végétarien -sans consommation de viande mais avec des produits laitiers – pourrait permettre de réduire de 38% l’empreinte eau d’un européen, c’est-à-dire la quantité d’eau nécessaire pour sa consommation quotidienne (aliments, vêtements, biens…).
La question du stockage de l’eau :
Le stockage de l’eau dans des réservoirs artificiels (retenues d’eau, lacs artificiels, barrages…) s’est développé depuis le XXème siècle. Et bien que leurs impacts sur la faune, la flore et la qualité de l’eau soient connus, leur développement se poursuit. Historiquement, l’alimentation de ces infrastructures se faisait grâce aux cours d’eau à proximité desquels elles se situaient. Mais un nouveau type de retenue a fait son apparition dans les années 2010 : les réservoirs de substitution ou plus communément appelées (méga)-bassines. Ces grandes étendues étanches sont directement alimentées par pompage de la nappe phréatique pendant l’hiver pour qu’elle soit ensuite utilisée pour irriguer les cultures au printemps et en été.[3]
L’efficacité de ce type d’infrastructure est aujourd’hui très contestée : l’hydrologue Emma Haziza avance par exemple le chiffre de 20 à 40% de perte, par la seule évaporation. Elle souligne également le risque d’une fragilisation des nappes. Celles-ci se rechargent difficilement, et le phénomène tend à s’amplifier avec le changement climatique, puisque seul 9 % de l’eau de pluie pénètre jusque dans la nappe alors que près des deux tiers retourne à l’atmosphère par évaporation. Or, en période de sécheresse, les cours d’eau sont alimentés par les nappes phréatiques. Si ces nappes venaient à être sévèrement diminuées par un pompage excessif (y compris en hiver) et une absence de précipitations, les conséquences pour la biodiversité pourraient être aussi dramatiques que celles constatées cet été.
Cette possible adaptation, soutenue par une partie de la profession agricole, ne remet pourtant pas en question notre modèle de production agricole à l’origine d’une pression accrue sur la ressource en eau. Pire, elle pourrait conduire à une distribution moins équitable de la ressource en eau, en particulier pour les écosystèmes naturels qui se verraient privés d’eau en cas de tension estivale, au moment où l’agriculture est le plus en demande.
Une remise en question globale du modèle alimentaire
Noé insiste sur le besoin de modifier les pratiques agricoles pour s’adapter aux changements climatiques à venir en tenant compte de l’ensemble des problématiques associées. Le seul recours au stockage de l’eau, sans remise en question des productions et des pratiques agricoles associées ne peut conduire qu’à une mauvaise adaptation face aux conséquences de la raréfaction de la ressource en eau. L’innovation dans les pratiques agricoles rencontre ici un réel défi, par exemple quand les producteurs recherchent des solutions pour faire lever et grandir des couverts végétaux, dans des conditions de sécheresse, dont l’objectif est de protéger les sols entre deux cultures.
Si les pratiques et les modèles doivent changer, les régimes alimentaires le doivent également, notamment en végétalisant plus l’alimentation. C’est ce levier qui permettra de réduire principalement l’empreinte eau de l’alimentation et de l’agriculture.
[1] https://www.ecologie.gouv.fr/secheresse-economiser-leau
[3] https://bonpote.com/les-mega-bassines-sont-elles-des-solutions-viables-face-aux-secheresses/