Les jachères fleuries annuelles sont fréquemment employées en milieu agricole afin de fournir des ressources alimentaires aux pollinisateurs sauvages. Cependant, l’efficacité de ces infrastructures sur le développement des populations de pollinisateurs demande à être davantage évaluée. En nous appuyant sur une récente étude menée par des chercheurs suédois, nous vous expliquons l’utilité de ces jachères en nous focalisant sur leur effet sur une espèce de bourdon, et soulignons l’importance de diversifier les infrastructures pour améliorer leur influence sur les pollinisateurs sauvages !
Comme de nombreux pollinisateurs, une partie des espèces de bourdons ont connu un fort déclin en Europe au cours du XXe siècle. Les causes de ce déclin incluent la destruction et la dégradation des habitats (par exemple les prairies permanentes riches floristiquement), liées fortement à l’intensification de l’agriculture, engendrant notamment une diminution de la disponibilité des ressources alimentaires (pollen, nectar)4.
Cependant, certaines espèces de bourdons sont en expansion (en Europe, si 45,6% des espèces sont en déclin, 13,2% sont en expansion)1. Par exemple, en Belgique, une étude a montré que certaines espèces comme le bourdon des mousses (Bombus muscorum) et le bourdon des sables (Bombus veteranus) ont fortement décliné en termes d’aires occupées, alors que d’autres espèces comme le bourdon terrestre (Bombus terrestris) et le bourdon des arbres (Bombus hypnorum) semblent connaître un accroissement.
Un Bombus Terrestris (ou bourdon terrestre) photographié en Italie.
Ces différences pourraient être liées à de nombreux facteurs, notamment à des préférences variables selon les espèces pour les habitats qu’ils occupent. En effet, les espèces en déclin dans cette étude préfèrent les habitats ouverts alors que les espèces en augmentation préfèrent les habitats forestiers5, alors que les habitats ouverts comme les haies ou les prairies ont fortement déclinés en surface ou ont perdu en recouvrement fleuri au cours du XXe siècle, notamment à cause de l’intensification de leur usage (par exemple à cause de l’augmentation de la fertilisation azotée).
Le coût que représente leur mise en place par les agriculteurs doit être compensé soit par une rétribution (ex : par l’entreprise qui utilise les matières premières, par le consommateur au travers du prix du produit, par le citoyen au travers de la PAC), soit par un paiement pour les services écosystémiques que l’agriculteur générerait (ex : pollinisation d’une culture). Dans tous les cas, ces éléments impliquent que les jachères semées doivent démontrer leur efficacité par rapport aux objectifs de conservation ou de services écosystémiques visés.
Cette efficacité a pu être montrée sur l’abondance ou la diversité des pollinisateurs trouvés dans les jachères fleuries. Si l’on savait que les jachères fleuries attirent les pollinisateurs, on savait bien moins si cette attraction se traduit par un réel effet bénéfique sur la croissance de colonies ou le succès reproducteur d’insectes qui y récoltent des ressources (nectar et/ou pollen).
C’est ce manque de connaissances que des chercheurs suédois ont souhaité combler en étudiant l’influence de jachères annuelles sur la croissances des colonies de bourdons terrestre (Bombus terrestris)6. Ces jachères annuelles étaient composées de huit espèces (aneth, bleuet, coriandre, sarrasin, phacélie à feuilles de tanaisie, trèfle d’Alexandrie, trèfle incarnat et trèfle de Perse) garantissant une floraison étalée sur toute la saison. Ces chercheurs ont mis en évidence une influence positive des jachères annuelles sur la croissance des colonies de bourdons. Cette influence positive diminue avec la distance entre la colonie de bourdon et la jachère, mais demeure perceptible jusqu’à une distance de 600 m entre les deux.
Ainsi, les jachères annuelles, en favorisant la croissance des colonies de bourdons, peuvent bel et bien être intéressantes pour renforcer les populations de ces insectes.
Exemple d'une jachère fleurie composée de coquelicots et bleuets sur un talus en France.
Cependant, les chercheurs de cette étude soulignent que l’effet positif dépend fortement de la composition des jachères : elles doivent notamment pouvoir fournir des ressources alimentaires aux périodes où elles sont généralement manquantes, notamment en fin d’été (par exemple grâce à certains trèfles comme le trèfle d’Alexandrie dans cette étude). Cette importance de la composition des jachères nous permet de rappeler également l’utilité de ne pas inclure de variétés horticoles (c’est-à-dire obtenues par sélection humaine) sélectionnées pour leurs qualités esthétiques dans les mélanges destinés aux jachères annuelles : ces variétés peuvent produire un niveau de ressources moindre7, et ainsi sous-optimiser l’espace mis en jachères. Utiliser des variétés horticoles n’est donc ni un bon investissement pour les pollinisateurs sauvages, ni pour les agriculteurs.
De plus, les jachères annuelles présentent le risque d’être des « pièges écologiques » pour les insectes si elles sont détruites en période d’hivernage de ces derniers : elles attirent les insectes mais en pouvant leur être néfaste involontairement si les insectes qui hivernent sont tués avec la destruction de la jachère10.
Finalement, c’est une diversité de surfaces favorables aux pollinisateurs sauvages qui peut avoir l’effet le plus intéressant. En effet, cette diversité de surfaces permet de multiplier le type de ressources disponibles (alimentaires ou autres), permettant à des pollinisateurs aux besoins différents de combler leurs besoins. Des communautés composées d’espèces dites complémentaires sont alors présentes au sein de cette diversité de surfaces, comme montré par une autre équipe de chercheurs suisses et allemands11.
En effet, ces différentes infrastructures, dont le cout augmente potentiellement avec leur qualité et leur diversité, impliquent de garantir leur financement auprès des agriculteurs. La promotion de ces infrastructures pour favoriser la biodiversité « ordinaire » en milieux agricoles est un axe majeur chez Noé au travers de nos différents programmes.
Prairies de Noé incite tous les acteurs impliqués dans les différentes filières agro-alimentaires à agir en faveur des pollinisateurs sauvages et de la biodiversité « ordinaire » en les orientant vers des mesures adaptées. Pour compléter cette approche, le programme Fermes de Noé, dans le cadre de son Club AGATA, développe des indicateurs pour notamment évaluer et valoriser ce type de pratiques au sein des filières.
Des questions, des remarques sur les pollinisateurs sauvages ? Contactez-nous ! jgoulnik@noe.org
Références :
Parmi les bourdons, des comportements et besoins différents selon les espèces
Parmi les pollinisateurs sauvages, les bourdons rassemblent environ 70 espèces en Europe1, au rôle important dans la pollinisation de nombreuses plantes sauvages et cultivées2. Les bourdons sont très généralement sociaux (ils vivent en colonie), mais certaines espèces (les Psythirus) sont des « coucous » d’autres espèces de bourdon. C’est-à-dire qu’une femelle Psythirus prend la place de la reine d’une colonie établie et fait élever sa propre descendance par les ouvrières de la colonie occupée3.Comme de nombreux pollinisateurs, une partie des espèces de bourdons ont connu un fort déclin en Europe au cours du XXe siècle. Les causes de ce déclin incluent la destruction et la dégradation des habitats (par exemple les prairies permanentes riches floristiquement), liées fortement à l’intensification de l’agriculture, engendrant notamment une diminution de la disponibilité des ressources alimentaires (pollen, nectar)4.
Cependant, certaines espèces de bourdons sont en expansion (en Europe, si 45,6% des espèces sont en déclin, 13,2% sont en expansion)1. Par exemple, en Belgique, une étude a montré que certaines espèces comme le bourdon des mousses (Bombus muscorum) et le bourdon des sables (Bombus veteranus) ont fortement décliné en termes d’aires occupées, alors que d’autres espèces comme le bourdon terrestre (Bombus terrestris) et le bourdon des arbres (Bombus hypnorum) semblent connaître un accroissement.
Un Bombus Terrestris (ou bourdon terrestre) photographié en Italie.
Ces différences pourraient être liées à de nombreux facteurs, notamment à des préférences variables selon les espèces pour les habitats qu’ils occupent. En effet, les espèces en déclin dans cette étude préfèrent les habitats ouverts alors que les espèces en augmentation préfèrent les habitats forestiers5, alors que les habitats ouverts comme les haies ou les prairies ont fortement déclinés en surface ou ont perdu en recouvrement fleuri au cours du XXe siècle, notamment à cause de l’intensification de leur usage (par exemple à cause de l’augmentation de la fertilisation azotée).
Des jachères fleuries pour agir en faveur des pollinisateurs sauvages ?
Afin d’enrayer le déclin des pollinisateurs sauvages, restaurer ou implanter des « infrastructures » favorables à ces insectes en milieu agricole est fortement préconisé. Ces infrastructures peuvent relever de formes diverses, comme par exemple les haies, les prairies permanentes, mais aussi les jachères fleuries annuelles.Le coût que représente leur mise en place par les agriculteurs doit être compensé soit par une rétribution (ex : par l’entreprise qui utilise les matières premières, par le consommateur au travers du prix du produit, par le citoyen au travers de la PAC), soit par un paiement pour les services écosystémiques que l’agriculteur générerait (ex : pollinisation d’une culture). Dans tous les cas, ces éléments impliquent que les jachères semées doivent démontrer leur efficacité par rapport aux objectifs de conservation ou de services écosystémiques visés.
Cette efficacité a pu être montrée sur l’abondance ou la diversité des pollinisateurs trouvés dans les jachères fleuries. Si l’on savait que les jachères fleuries attirent les pollinisateurs, on savait bien moins si cette attraction se traduit par un réel effet bénéfique sur la croissance de colonies ou le succès reproducteur d’insectes qui y récoltent des ressources (nectar et/ou pollen).
C’est ce manque de connaissances que des chercheurs suédois ont souhaité combler en étudiant l’influence de jachères annuelles sur la croissances des colonies de bourdons terrestre (Bombus terrestris)6. Ces jachères annuelles étaient composées de huit espèces (aneth, bleuet, coriandre, sarrasin, phacélie à feuilles de tanaisie, trèfle d’Alexandrie, trèfle incarnat et trèfle de Perse) garantissant une floraison étalée sur toute la saison. Ces chercheurs ont mis en évidence une influence positive des jachères annuelles sur la croissance des colonies de bourdons. Cette influence positive diminue avec la distance entre la colonie de bourdon et la jachère, mais demeure perceptible jusqu’à une distance de 600 m entre les deux.
Ainsi, les jachères annuelles, en favorisant la croissance des colonies de bourdons, peuvent bel et bien être intéressantes pour renforcer les populations de ces insectes.
Exemple d'une jachère fleurie composée de coquelicots et bleuets sur un talus en France.
Cependant, les chercheurs de cette étude soulignent que l’effet positif dépend fortement de la composition des jachères : elles doivent notamment pouvoir fournir des ressources alimentaires aux périodes où elles sont généralement manquantes, notamment en fin d’été (par exemple grâce à certains trèfles comme le trèfle d’Alexandrie dans cette étude). Cette importance de la composition des jachères nous permet de rappeler également l’utilité de ne pas inclure de variétés horticoles (c’est-à-dire obtenues par sélection humaine) sélectionnées pour leurs qualités esthétiques dans les mélanges destinés aux jachères annuelles : ces variétés peuvent produire un niveau de ressources moindre7, et ainsi sous-optimiser l’espace mis en jachères. Utiliser des variétés horticoles n’est donc ni un bon investissement pour les pollinisateurs sauvages, ni pour les agriculteurs.
Vers une diversification des infrastructures pour une influence toujours plus positive !
Au-delà de ces résultats, plusieurs limites à cette étude peuvent être soulignées. Tout d’abord, le bourdon terrestre qui fait l’objet de cette étude n’est pas une espèce en déclin. Ainsi, il serait intéressant d’étudier l’influence de ces jachères annuelles sur des espèces en déclin comme Bombus veteranus, ou sur des espèces de pollinisateurs n’appartenant pas aux bourdons. Et pour cause : si les jachères annuelles fournissent de la ressource florale, elles proposent en revanche peu de sites de nidification, comme du sol nu, c’est à dire des zones de sol non couverte par de la végétation. Ces sites de nidification sont pourtant des ressources nécessaires à de nombreux pollinisateurs, en particulier pour des petites espèces qui ont des distances de fourragement (c’est-à-dire la distance à laquelle elles s’éloignent de leur nid pour récolter du pollen ou du nectar) bien plus réduites que les bourdons8. Par exemple, 75% des espèces d’abeilles sauvages en Europe centrale sont considérées comme terricoles c’est-à-dire nichant dans le sol9.De plus, les jachères annuelles présentent le risque d’être des « pièges écologiques » pour les insectes si elles sont détruites en période d’hivernage de ces derniers : elles attirent les insectes mais en pouvant leur être néfaste involontairement si les insectes qui hivernent sont tués avec la destruction de la jachère10.
Finalement, c’est une diversité de surfaces favorables aux pollinisateurs sauvages qui peut avoir l’effet le plus intéressant. En effet, cette diversité de surfaces permet de multiplier le type de ressources disponibles (alimentaires ou autres), permettant à des pollinisateurs aux besoins différents de combler leurs besoins. Des communautés composées d’espèces dites complémentaires sont alors présentes au sein de cette diversité de surfaces, comme montré par une autre équipe de chercheurs suisses et allemands11.
Noé, un acteur engagé pour rendre les milieux agricoles plus favorables aux pollinisateurs !
Pour conclure, les jachères annuelles ont un potentiel intéressant pour soutenir les populations de certaines espèces de pollinisateurs. Cependant, le tout jachère fleurie n’est pas la solution et il est indispensable de diversifier les infrastructures pour créer les conditions les plus favorables aux pollinisateurs sauvages. De plus, de nouveaux travaux de recherche portant sur l’efficacité des jachères pour favoriser la croissance de colonies ou de populations d’autres espèces de pollinisateurs sauvages sont nécessaires. Ces études permettront de mieux cibler les actions favorables aux pollinisateurs en déclin, et mieux justifier le cout des infrastructures implantées.En effet, ces différentes infrastructures, dont le cout augmente potentiellement avec leur qualité et leur diversité, impliquent de garantir leur financement auprès des agriculteurs. La promotion de ces infrastructures pour favoriser la biodiversité « ordinaire » en milieux agricoles est un axe majeur chez Noé au travers de nos différents programmes.
Prairies de Noé incite tous les acteurs impliqués dans les différentes filières agro-alimentaires à agir en faveur des pollinisateurs sauvages et de la biodiversité « ordinaire » en les orientant vers des mesures adaptées. Pour compléter cette approche, le programme Fermes de Noé, dans le cadre de son Club AGATA, développe des indicateurs pour notamment évaluer et valoriser ce type de pratiques au sein des filières.
Des questions, des remarques sur les pollinisateurs sauvages ? Contactez-nous ! jgoulnik@noe.org
Références :
- Nieto, A. et al. European red list of bees. (Publications Office, 2014).
- Ollerton, J., Winfree, R. & Tarrant, S. How many flowering plants are pollinated by animals? Oikos 120, 321–326 (2011).
- Goulson, D. Bumblebees behabiour, ecology, and conservation. (Oxford university press, 2010).
- Goulson, D., Nicholls, E., Botias, C. & Rotheray, E. L. Bee declines driven by combined stress from parasites, pesticides, and lack of flowers. Science 347, 1255957–1255957 (2015).
- Rollin, O. et al. Drastic shifts in the Belgian bumblebee community over the last century. Biodivers. Conserv. 29, 2553–2573 (2020).
- Klatt, B. K., Nilsson, L. & Smith, H. G. Annual flowers strips benefit bumble bee colony growth and reproduction. Biol. Conserv. 252, 108814 (2020).
- Corbet, S. A. et al. Native or Exotic? Double or Single? Evaluating Plants for Pollinator-friendly Gardens. Ann. Bot. 87, 219–232 (2001).
- Zurbuchen, A. et al. Maximum foraging ranges in solitary bees: only few individuals have the capability to cover long foraging distances. Biol. Conserv. 143, 669–676 (2010).
- Westrich, P. Habitat requirements of central European bees and the problems of partial habitats. Linn. Soc. Symp. Ser. 18, 1–16 (1996).
- Ganser, D., Knop, E. & Albrecht, M. Sown wildflower strips as overwintering habitat for arthropods: Effective measure or ecological trap? Agric. Ecosyst. Environ. 275, 123–131 (2019).
- Pfiffner, L. Wild bees respond complementarily to ‘high-quality’ perennial and annual habitats of organic farms in a complex landscape. J. Insect Conserv. 12 (2018).