Première espèce européenne à s'éteindre

                     Courlis à bec grêle devant un groupe de Courlis cendré © Michel Brosselin, 1968

Disparition du Courlis à bec grêle (Numenius tenuirostris

Une étude scientifique parue en novembre sur la revue IBIS, pilotée par des chercheurs britanniques en partenariat avec BirdLife International, officialise, pour la première fois, l’extinction d’une espèce animale dans le Paléarctique occidental, écozone dans lequel est inclus l’Europe.

Elizabeth Gould, Edward Lear, The Birds of Europe, Plate 61, Volume 4, 1st ed., 1830

02 janvier 2025

Le Courlis à bec grêle était un oiseau limicole migrateur : il nichait de mars à septembre dans les forêts marécageuses de la taïga sibérienne et migrait vers les zones humides du pourtour méditerranéen à l'arrivée de l'hiver. Première espèce européenne à s'éteindre, sa disparition doit participer à une prise de conscience collective sur les menaces que les pratiques humaines font peser sur la biodiversité.


Caractéristiques générales 


Identification

Parmi les espèces composant le genre des Numenius, le Courlis à bec grêle pouvait être identifié par sa taille oscillant entre 36 et 41 cm. Il était légèrement plus petit que le Courlis corlieu (Numenius phaeopus) et sa taille moyenne de 40-46 cm, ou que le Courlis cendré (Numenius arquata), espèce la plus grande du genre avec ses 50 à 60 cm et son mètre d’envergure. 

Courlis cendré (Numenius arquata), ambiance matinale, Alsace, France © Olivier Gutfreund / Biosphoto    
















Son plumage était composé de teintes marronées et blanches. Des tâches noires sont présentes sur sa poitrine, son flanc et son croupion, elles permettaient de différencier la Courlis à bec grêle des autres espèces du genre Numenius.

Son bec long et fin était assurément l’élément qui le rendait le plus facilement reconnaissable, et dont son nom était tiré. Formé à partir du latin tenuis (« ténu ») et de rostrum (« le bec »), le Courlis à bec grêle possédait un bec fin et allongé, caractéristique de l’espèce. 

Nidification

Les sites de nidification privilégiés par le Courlis à bec grêle étaient les zones de transition tourbière-forêt, caractéristiques de la taïga sibérienne, localisés entre le nord du Kazakhstan et le sud de la Russie. Les quelques nids qui ont été retrouvés montrent que les Courlis à bec grêle nichaient par petits groupes, au sein desquels les nids étaient éloignés d’une dizaine de mètres. La composition des nids semblait principalement être d’herbe séchée, de feuilles et de scirpe, c’est-à-dire une végétation propre aux zones humides.  

Habitat

Les steppes sibériennes étaient vraisemblablement occupées par les Courlis à bec grêle de mars à septembre. Le reste de l’année, ils migraient vers les zones humides du bassin méditerranéen, en privilégiant les côtes marocaines, italiennes, algériennes et grecques, mais également le littoral français. Cette espèce semblait en réalité apprécier les sols salés, en témoigne, d’une part, la proximité avec la mer dans les sites migratoires, et d’autre part, la nature salée des sols dans les espaces de nidification. 

Alimentation

L’alimentation des Courlis à bec grêle est peu connue. Des données recueillies au Maroc montrent qu’ils se nourrissaient de vers de terre et de larves de Cousin (Tipulidae). S’il a été documenté que les mollusques et les crustacés ont formé une source de nourriture, il semblerait que les orthoptères aient également été une ressource nutritionnelle importante. 


Causes et probabilité d'extinction


Espèce rare, les dernières observations documentées par photographie du Courlis à bec grêle remontent à février 1995, sur le site de Merga Zerga, au Maroc. Cette zone aurait également fait l’objet d’observations en 1996 et 1997, mais sans preuve photographique. Malgré des photographies plus récentes de l’espèce, invalidées par la communauté scientifique, aucune observation n’a, depuis, été documentée, en dépit de programmes de recherche établit pour localiser des individus de l’espèce. Les auteurs de l’article officialisant sa disparition estiment la probabilité d’extinction du Courlis à bec grêle à 96%.

La faible quantité d’observation ainsi que les maigres informations sur les habitats, l’alimentation et la reproduction des Courlis à bec grêle ne permettent d’avancer que des hypothèses quant aux raisons de l’extinction de cette espèce.

L’une des causes avancées par les auteurs de l’article est la destruction des habitats de nidification due au drainage des zones humides du Kazakhstan au XIXe et au XXe siècle, au profit de terres agricoles. Espèce déjà fragilisée par les drainages, le Courlis à bec grêle aurait également dû faire face à une augmentation des températures qui serait intervenue sur la même période. Ces deux facteurs coïncident avec les premiers signaux d’alarmes sur l’importante diminution des populations de Courlis à bec grêle, lancés dès 1912. 

La seconde explication avancée, moins vraisemblable selon les auteurs, est la chasse, notamment en période de migration. Si quelques témoignages prouvent que le Courlis à bec grêle a bel et bien été menacé par la chasse, les conséquences réelles sur la population restent peu quantifiables. Les auteurs rappellent cependant qu’une autre espèce de Numenius, le Courlis esquimau (Numenius borealis), est désormais éteint à cause des pratiques intensives de chasse. La même remarque s’applique au Vanneau sociable (Vanellus gregarius), espèce nichant également au Kazakhstan et migrant vers le Moyen-Orient, dont les populations ont drastiquement baissé à cause de la chasse effectuée sur cette espèce pendant sa période de migration.

La disparition d’un oiseau continental, fréquentant le Paléarctique occidental, est une nouvelle alarmante. Auparavant, les oiseaux concernés par les risques d’extinction étaient des espèces endémiques, le plus souvent insulaires, dont les populations étaient déjà soumises à une fragilité en raison de leur habitat. De plus en plus d’oiseaux et de mammifères européens sont désormais touchés par d’inquiétantes baisses des populations, à l’image du hérisson ou du moineau domestique. Cette extinction doit participer à la protection des zones humides ; D’après l’IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), 87% des zones humides ont disparu depuis le XVIIIe siècle, dont 35% uniquement entre 1970 et 2015 : un quart des espèces habitant ces milieux sont placés en « danger d’extinction ». 

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