les escargots : de l'assiette à la peau

Helix pomatia Linnaeus, 1758 © P. Gourdain / INPN

Les dérives de la production d'escargots en France

La France se dresse comme le plus gros consommateur d’escargots avec une consommation d’environ 35 000 tonnes par an. Pourtant, 95% de sa consommation est importée d’Europe centrale, d’Asie et d’Afrique. Business juteux pour les industriels de la gastronomie et des cosmétiques, la production des escargots s’accompagne de problèmes de traçabilité et de transparence, portant aussi bien sur la provenance des escargots que les bienfaits de leur mucus. 

escargots de pologne et escargots à la bourguignonne 


Aux côtés des grenouilles, les escargots font partie de ces aliments intrigants consommés en France. Fleuron de la gastronomie française, les escargots de Bourgogne que l’on retrouve dans les restaurants ou dans les commerces ne proviennent pourtant ni de Bourgogne, ni de France. L’appellation « escargot de Bourgogne » est en réalité trompeuse. Il s’agit du nom vernaculaire donné à l’espèce Helix pomatia, qui n’est pas originaire de Bourgogne mais des forêts humides d’Europe centrale. Espèce non-adaptée à l’élevage, les escargots de Bourgogne vendus à la consommation sont importés depuis les pays d’Europe centrale, en particulier de la Pologne. Ce pays se dresse comme le plus gros exportateur d’Helix pomatia, où les escargots sont ramassés, à la main, à l’état sauvage. 97% des escargots vendus en France en proviennent. Les 3% restant, eux, sont élevés en France, et il s’agit principalement des « Petit-gris » (Helix aspersa) et des « Gros-Gris » (Helix aspersa maxima). Pourquoi cette importation ? Un argument écologique et juridique, d’abord. L’espèce Helix pomatia bénéficie, en France, d’un statut juridique particulier visant à la protéger : au XXe siècle, l’espèce était en danger de disparition en raison de l’augmentation des pratiques de ramassage et de l’intensification de l’usage de pesticides. Pour répondre à l’inquiétante baisse des populations, un arrêté ministériel a été promulgué en 1979, interdisant son ramassage pendant la période de reproduction, s’étendant du 1er avril au 30 juin. Un argument économique, également. Lorsqu’ils sont ramassés en Pologne, les Helix pomatia ont une valeur d’environ 0,50€/kilo. Une fois revendu en France après transformation, le prix au kilo des escargots dans les grandes surfaces peut monter jusqu’à 80€/kilo. Les héliciculteurs français ne peuvent rivaliser avec les faibles coûts que l’importation permet. En cause, des prix de productions bien plus élevés que ceux en Pologne, et une activité professionnelle soumise aux aléas climatiques.  

Comme le note les rédacteurs du rapport de la mission du CGAAER, portant sur le développement de l’héliciculture en France, le manque de clarté sur l’origine des escargots de Bourgogne et la recette des « escargots à la bourguignonne » occasionne une incompréhension de la part des consommateurs. Ces derniers associent les « escargots de Bourgogne » (Helix pomatia) au terroir bourguignon, et les « escargots à la bourguignonne » aux escargots de Bourgogne. Or, si les escargots de Bourgogne ne proviennent pas de France, les « escargots à la bourguignonne » ne sont pas obligatoirement préparés à partir de l’espèce Helix pomatia. Les « escargots à la bourguignonne » font simplement référence à une recette de la gastronomie bourguignonne, dans laquelle un escargot est cuit, replacé dans sa coquille, et accompagné d’une farce composée de de beurre, d’ail et de persil. N’importe quelle espèce d’escargot peut donc être préparée à la bourguignonne. D’après l’organisation Foodwatch, les industriels jouent sur cette ambiguïté. Les emballages sont estampillés de drapeaux français, de mentions « préparé en France » et de label tel que le « Label rouge », témoignant de la qualité supérieure du produit. La provenance des escargots, quant à elle, manque de transparence : lorsque l’origine est notée, elle ne figure qu’en marge de l’emballage et est difficile à retrouver. Le même constat s’applique aux espèces d’escargots utilisées dans les préparations industrielles. Si les marques appuient leur publicité sur l’escargot de Bourgogne, d’autres, comme l’escargot Turc (Helix lucorum), sont également utilisés dans les produits transformés vendus en grande surface. 

Mucus et cosmétique

Depuis quelques années, les produits cosmétiques à base de bave d’escargots fleurissent. La raison : la présence d’allantoïne, de collagène et d’acide glycolique dans la bave secrétée par les gastéropodes, trois substances réputées pour leurs bienfaits sur les peaux sensibles et irritées. L’argument de vente est simple : privilégier des produits « naturels », dont l’efficacité est attestée depuis l’Antiquité, pour jouer sur la défiance qui entoure les cosmétiques conventionnels et leur produit chimique, nocif pour le corps et l’environnement. La communication des entreprises de cosmétique autour de la bave d’escargot en fait un produit miracle, en insistant sur son caractère exceptionnel : elles en parlent comme d’« un trésor de la nature pour votre peau », d’un « cocktail d'actifs exceptionnels, hautement concentré, reconnu pour ses propriétés bénéfiques sur la peau ». Selon ces marques, « les bienfaits de la bave d'escargot sont très nombreux et incroyables pour tous types de peau ».

Le mucus est-il véritablement un produit miracle, comme l’annoncent les producteurs de cosmétiques ?  Un focus sur la composition de la bave d’escargot s’impose. Selon les espèces, le mucus est composé d’eau à hauteur de 90 à 99,7%, les 10 à 0,3% restant sont majoritairement composés de sodium, de potassium et de magnésium. Les molécules mises en avant par les sociétés de cosmétiques sont donc présentes en quantité infime dans le mucus : pour le Petit-gris (Helix aspersa), il faut compter 50mg d’allantoïne et 3,3g d’acide glycolique pour 1L de mucus. Pour que ces substances aient une influence concrète sur la peau, les normes pharmaceutiques recommandent une concentration d’allantoïne allant de 0,5% à 1%, et une dose d’acide glycolique supérieure à 5%. Pour arriver à ces chiffres, les crèmes et lotions vendues devraient comporter plus de 10L de mucus pour des contenant ne dépassant pas les 50mL. Une prouesse technique qui relève de l’impossible. Quatre échantillons testés dans un reportage France 5, sur la consommation des escargots et de leur bave, montrent un taux de présence bien en-dessous des recommandations pharmaceutiques : entre 0,0015% et 0,1% pour l’allantoïne, ainsi qu’une absence d’acide glycolique dans trois des échantillons. 

exploitation ou protection ?


De l’assiette à la crème pour le visage, les escargots sont au cœur de stratégies marketing qui jouent sur les représentations d’un terroir français et d’une nature miraculeuse. Les gastéropodes sont bien plutôt des espèces fragiles, menacées par le réchauffement climatique et les activités humaines, ce dont l’histoire de la protection de l’escargot de Bourgogne témoigne. Deux espèces ont d’ores et déjà disparu des régions de France métropolitaine. Ces mollusques continentaux sont pourtant des espèces essentielles au bon fonctionnement de la biodiversité, car ils participent à la fertilité des sols en se nourrissant de déchets de surfaces, d’origines végétales et animales.


Sources 

COUTEAU Céline, COIFFARD Laurence, « La bave d’escargot, une idée plutôt vaseuse », The Conversation, 2017.

Les escargots en bavent : le délectable business des gastéropodes (documentaire), France 5, 2021.

MNHN et Noé, Coquilles et mucus, 2024.

Rapport CGAAER n° 21130-P : Mission d’appui et de conseil à la production d’escargots.