escargots de pologne et escargots à la bourguignonne
Aux côtés des
grenouilles, les escargots font partie de ces aliments intrigants consommés en
France. Fleuron de la gastronomie française, les escargots de Bourgogne que
l’on retrouve dans les restaurants ou dans les commerces ne proviennent
pourtant ni de Bourgogne, ni de France. L’appellation « escargot de
Bourgogne » est en réalité trompeuse. Il s’agit du nom vernaculaire donné
à l’espèce Helix pomatia, qui n’est pas originaire de Bourgogne mais des
forêts humides d’Europe centrale. Espèce non-adaptée à l’élevage, les escargots
de Bourgogne vendus à la consommation sont importés depuis les pays d’Europe
centrale, en particulier de la Pologne. Ce pays se dresse comme le plus gros
exportateur d’Helix pomatia, où les escargots sont ramassés, à la main,
à l’état sauvage. 97% des escargots vendus en France en proviennent. Les 3%
restant, eux, sont élevés en France, et il s’agit principalement des « Petit-gris »
(Helix aspersa) et des « Gros-Gris » (Helix aspersa maxima).
Pourquoi cette importation ? Un argument écologique et juridique, d’abord.
L’espèce Helix pomatia bénéficie, en France, d’un statut juridique
particulier visant à la protéger : au XXe siècle, l’espèce était
en danger de disparition en raison de l’augmentation des pratiques de ramassage
et de l’intensification de l’usage de pesticides. Pour répondre à l’inquiétante
baisse des populations, un arrêté ministériel a été promulgué en 1979,
interdisant son ramassage pendant la période de reproduction, s’étendant du 1er
avril au 30 juin. Un argument économique, également. Lorsqu’ils sont ramassés
en Pologne, les Helix pomatia ont une valeur d’environ 0,50€/kilo. Une
fois revendu en France après transformation, le prix au kilo des escargots dans
les grandes surfaces peut monter jusqu’à 80€/kilo. Les héliciculteurs français
ne peuvent rivaliser avec les faibles coûts que l’importation permet. En cause,
des prix de productions bien plus élevés que ceux en Pologne, et une activité
professionnelle soumise aux aléas climatiques.
Comme le note
les rédacteurs du rapport de la mission
du CGAAER, portant sur le développement de l’héliciculture en France, le
manque de clarté sur l’origine des escargots de Bourgogne et la recette des
« escargots à la bourguignonne » occasionne une incompréhension de la
part des consommateurs. Ces derniers associent les « escargots de
Bourgogne » (Helix pomatia) au terroir bourguignon, et les
« escargots à la bourguignonne » aux escargots de Bourgogne. Or, si les
escargots de Bourgogne ne proviennent pas de France, les « escargots à la
bourguignonne » ne sont pas obligatoirement préparés à partir de l’espèce Helix
pomatia. Les « escargots à la bourguignonne » font simplement
référence à une recette de la gastronomie bourguignonne, dans laquelle un escargot
est cuit, replacé dans sa coquille, et accompagné d’une farce composée de de
beurre, d’ail et de persil. N’importe quelle espèce d’escargot peut donc être
préparée à la bourguignonne. D’après l’organisation Foodwatch, les industriels
jouent sur cette ambiguïté. Les emballages sont estampillés de drapeaux
français, de mentions « préparé en France » et de label tel que le
« Label rouge », témoignant de la qualité supérieure du produit. La
provenance des escargots, quant à elle, manque de transparence : lorsque
l’origine est notée, elle ne figure qu’en marge de l’emballage et est difficile
à retrouver. Le même constat s’applique aux espèces d’escargots utilisées dans
les préparations industrielles. Si les marques appuient leur publicité sur
l’escargot de Bourgogne, d’autres, comme l’escargot Turc (Helix lucorum),
sont également utilisés dans les produits transformés vendus en grande surface.
Mucus et cosmétique
Depuis quelques
années, les produits cosmétiques à base de bave d’escargots fleurissent. La
raison : la présence d’allantoïne, de collagène et d’acide glycolique dans
la bave secrétée par les gastéropodes, trois substances réputées pour leurs
bienfaits sur les peaux sensibles et irritées. L’argument de vente est
simple : privilégier des produits « naturels », dont
l’efficacité est attestée depuis l’Antiquité, pour jouer sur la défiance qui
entoure les cosmétiques conventionnels et leur produit chimique, nocif pour le
corps et l’environnement. La communication des entreprises de cosmétique autour
de la bave d’escargot en fait un produit miracle, en insistant sur son
caractère exceptionnel : elles en parlent comme d’« un trésor de la
nature pour votre peau », d’un « cocktail d'actifs exceptionnels,
hautement concentré, reconnu pour ses propriétés bénéfiques sur la peau ».
Selon ces marques, « les bienfaits de la bave d'escargot sont très
nombreux et incroyables pour tous types de peau ».
Le mucus est-il
véritablement un produit miracle, comme l’annoncent les producteurs de
cosmétiques ? Un focus sur la
composition de la bave d’escargot s’impose. Selon les espèces, le mucus est
composé d’eau à hauteur de 90 à 99,7%, les 10 à 0,3% restant sont
majoritairement composés de sodium, de potassium et de magnésium. Les molécules
mises en avant par les sociétés de cosmétiques sont donc présentes en quantité
infime dans le mucus : pour le Petit-gris (Helix aspersa), il faut
compter 50mg d’allantoïne et 3,3g d’acide glycolique pour 1L de mucus. Pour que
ces substances aient une influence concrète sur la peau, les normes
pharmaceutiques recommandent une concentration d’allantoïne allant de 0,5% à
1%, et une dose d’acide glycolique supérieure à 5%. Pour arriver à ces
chiffres, les crèmes et lotions vendues devraient comporter plus de 10L de
mucus pour des contenant ne dépassant pas les 50mL. Une prouesse technique qui
relève de l’impossible. Quatre échantillons testés dans un reportage France 5, sur
la consommation des escargots et de leur bave, montrent un taux de présence
bien en-dessous des recommandations pharmaceutiques : entre 0,0015% et
0,1% pour l’allantoïne, ainsi qu’une absence d’acide glycolique dans trois des
échantillons.
exploitation ou protection ?
De l’assiette à
la crème pour le visage, les escargots sont au cœur de stratégies marketing qui
jouent sur les représentations d’un terroir français et d’une nature
miraculeuse. Les gastéropodes sont bien plutôt des espèces fragiles, menacées
par le réchauffement climatique et les activités humaines, ce dont l’histoire
de la protection de l’escargot de Bourgogne témoigne. Deux espèces ont d’ores
et déjà disparu des régions de France métropolitaine. Ces mollusques
continentaux sont pourtant des espèces essentielles au bon fonctionnement de la
biodiversité, car ils participent à la fertilité des sols en se nourrissant de
déchets de surfaces, d’origines végétales et animales.
Sources
COUTEAU
Céline, COIFFARD Laurence, « La bave d’escargot, une idée plutôt
vaseuse », The Conversation, 2017.
Les
escargots en bavent : le délectable business des gastéropodes
(documentaire), France 5, 2021.
MNHN et Noé, Coquilles et
mucus, 2024.
Rapport
CGAAER n° 21130-P : Mission d’appui et de conseil à la production
d’escargots.